
Le 94e arrive
à Bray-Dunes le 21 octobre 1914. La 42e Division
est alors rattachée, au 32e Corps. A
la 83e Brigade,
le 16e Batai11on de
Chasseurs va bientôt remplacer le 19e.
« Le 20 octobre et le 21 sont de longues
heures d'angoisse. Dixmude est écrasé de bombes. Les Allemands, dont les
effectifs se renouvellent à chaque instant, se ruent avec plus de fureur
que jamais sur les lignes belges qui finissent par plier. Le Général Foch
indique une ligne de repli et donne l'idée d'inonder le pays. On tiendra
tant bien que mal jusqu'à ce que le pays soit inondé. D'ailleurs, voici la
42e Division,
celle des Marais de Saint-Gond. Elle contre-attaque et la ligne est de
nouveau fixée » (Commandant GRASSET)
Le 23 octobre, le Régiment marche vers
Nieuport, en soutien de la 84e Brigade.
Le 24 octobre, il part de Ost-Dunkerque,
à 3 heures du matin, en direction de Pervyse. A 6 heures, il reçoit l'ordre
d'attaquer Klosterthoeck, les passerelles et les tranchées de la boucle de
l'Yser. Le 1er Bataillon
(Commandant Barbaroux) est en réserve de Division. Les deux autres
Bataillons viennent le long de la voie ferrée se placer face à leur
objectif: 3e Bataillon à
droite, 2e à gauche.
L'attaque doit avoir lieu à 10 h. 30, mais le mouvement est arrêté et ne
reprend qu'à 13 heures. L'ennemi commence à garnir les tranchées et le
combat d'Infanterie et d'artil1erie s'engage en même temps. Le 3e
Bataillon oblique à droite et continue vers
Stuyvekenskerke, devant lequel il est arrêté pour le reste de la journée.
Pendant ce temps, le 2e Bataillon
progresse, lentement sous un feu violent d'artillerie lourde et de
mitrailleuses. Enfin, il arrive à l'assaut et l'ennemi est délogé de la
ferme Vicogne, où il laisse de nombreux blessés et prisonniers. Vers 17
heures, l'attaque est poussée à fond et toute la ligne portée plus en
avant. En un magnifique effort, à la nuit noire, éclairée par de nombreux
incendies, le moulin et la tour de Klosterhoeck sont enlevés. Le Sergent
Polin, faisant preuve d'initiative intelligente, ramène au feu une
Compagnie belge; il est cité à l'ordre (Citation du Sergent Polin :
Sous-officier admirable de bravoure et de sang-froid. Le 24 octobre 1914, a
ramené au feu une Compagnie belge qui lâchait pied à la suite de rafales
d'artillerie).
Le 3e Bataillon
vient à la gauche du 2e pour
assurer la liaison avec les Belges, qui sont très en retrait.
Le 25 au matin, les Allemands
s'approchent par petits paquets et attaquent Klosterhoeck. Deux Compagnies
de Chasseurs sont presque entièrement cernées et les 6e
et 8e Compagnies
doivent se replier sous un feu violent, avec obligation de passer par un
seul pont. La fusillade ne cesse pas de la journée et les pertes sont
nombreuses: un certain nombre d’hommes sont noyés. Dans la nuit du 25 au
26, le Régiment se replie par ordre jusqu'à la voie ferrée
Nieuport-Dixmude. Le repli dans la nuit, à travers un terrain coupé de
fossés pleins d'eau, est très difficile et le 3e
Bataillon n'arrive à son emplacement que le 26 au
jour.
Le 26 au soir, le 2e
Bataillon (Capitaine Marzloff) se porte à gauche du 1er
et envoie deux Compagnies, sous les ordres du
Lieutenant Hy, au passage à niveau de Pervyse pour soutenir les Belges et
les Territoriaux.
Le 27 et le 28, le Régiment est soumis à
un bombarde ment terrible et les pertes sont lourdes du fait de
l'artillerie. Les Allemands progressent de ferme en ferme vers la station
de Pervyse et le passage à niveau jusqu'à 200 mètres de la voie ferrée.
Toute la journée, le mouvement continue par infiltration, ainsi que le 29;
les Allemands creusent des tranchées et la fusillade est ininterrompue.
« Le 30, en colonnes profondes, l'ennemi
se rue encore contre le centre belge, qu'il a préalablement écrasé par
l'artillerie lourde. Ramscapelle est enlevé, le centre est percé, la
victoire allemande parait assurée. Mais la 42e Division
est encore là ! Une brillante charge à la baïonnette a raison des colonnes
disloquées et réduites de l'ennemi, qui recule pour ne plus revenir, cette
fois » (Commandant GRASSET)
Ce jour-là même, à 4 heures du matin,
comme on pressent l'attaque, tout le monde est vigilant. Des silhouettes se
meuvent à quelques mètres: une série de feux à répétition les couche à
terre. A 5 heures, à 150 mètres du front, des drapeaux blancs s'agitent au
bout de bâtons ; mais personne ne s'y laisse prendre: le feu est ouvert par
certains éléments, puis des fractions partent à la baïonnette et l'ennemi
s'enfuit, non sans laisser 250 prisonniers, dont 3 officiers. L'inondation
des basses terres commence ; l'eau monte dans les fossés.
Le 2 novembre, la bataille s'allume entre
Dixmude et la Lys. « La semaine qui suit est une semaine de tueries. La
lutte la plus sauvage ne s'arrête ni jour ni nuit » (Commandant GRASSET).
Le 3 novembre, le Régiment quitte la voie
ferrée et se porte plus au Sud pour coopérer à une action sur Dixmude. Le
4, deux Bataillons du Régiment traversent l'Yser sur des passerelles au Sud
de Dixmude et, en liaison avec les Fusiliers Marins de l'Amiral Ronarch,
attaquent de front le château. Le 3e Bataillon
est à gauche, le 2e à
droite, le 1er en réserve de
Division à Lampervise. La progression est très lente, sous des feux
violents et meurtriers partant des murs, crénelés de front et de flanc. Le
3e Bataillon arrive à 400 mètres,
puis, à la faveur de l'obscurité, gagne la ligne d'arbres à 150 mètres du
château.
Le 5, l'attaque reprend, mais la
progression est impossible. Une nouvelle attaque, préparée pour la nuit,
est éventée par des patrouilles et ne peut avoir lieu.
Les jours suivants, les Allemands, dans
des tentatives désespérées qui leur coûtent des pertes effroyables, tentent
de prendre à revers le saillant d'Ypres. Et, dans la boue, à travers les
canaux et les prés inondés, le 94e se
porte aux points menacés.
Le 8 novembre au soir, le Régiment tout
entier est en ligne devant Bixshoote, Stenstraate et Het-Sas.
Le 9, il reçoit l'ordre d'attaquer par
surprise devant Bixshoote. Il se porte en avant, pousse son attaque avec
trois Compagnies qui font 100 mètres ; mais, soumises à un feu précis
d'Infanterie, sont obligées de se replier. Le 3e
Bataillon (Commandant de Parseval) se retire derrière
le canal de l'Yser et reforme ses unités disloquées. Il reprend l'attaque à
14 heures, lance la Compagnie Marzloff sur le Cabaret Korteker et se dirige
sur les tranchées de première ligne, qu'il dépasse de quelques mètres à
peine et dans lesquelles il revient aussitôt. La position reste soumise à
un bombardement d'une violence inouïe et a plusieurs reprises le combat
reprend par le feu.
Le 10, à 5 heures du matin, la fusi1lade
a repris ; mais une partie des tranchées, endommagée par de gros
projectiles, est prise. La Compagnie de réserve du 1er
Bataillon la reprend à 6 heures. Vers 6 h.30, la
ligne ayant été forcée à la gauche du Régiment, la gauche du 2e
Bataillon est attaquée simultanément de front et de
flanc: ce mouvement débordant est si prononcé que la 7e
Compagnie, disponible à 150 mètres en arrière, est
attaquée de flanc en même temps que la première ligne. Par cette attaque,
l'ennemi réussit à gagner les tranchées, malgré la vive résistance des 2e
et
3e batai11ons
; ayant fait quelques prisonniers, il les oblige à marcher en avant en
criant: « Ne tirez pas ! les Allemands se rendent ! » La méprise qui en
résulte lui permet de se rapprocher du 1er Bataillon.
Lorsque le stratagème est découvert, il n'est que temps de songer à se
replier sur la ligne des réserves pour arrêter le mouvement. Le Commandant
Boulet-Desbareau, qui commande le Régiment, se porte en première ligne pour
diriger l'attaque qui doit se produire en liaison avec la 84e
Brigade ; mais l'attaque ne peut être déclenchée.
Après être resté en ligne une grande partie de la journée, il regagne son
poste de commandement sur le canal, restant en liaison téléphonique.
Brusquement, à 18 h. 45, sans que l'attaque de la première ligne soit
connue, l'ennemi se présente devant le canal. Le commandant du Régiment et
sa liaison assurent immédiatement la défense de la passerelle avec l'aide
d'une section du Génie et d'un peloton de Chasseurs à Pied. Grâce à
l'action de ce rapide groupement de forces, une Compagnie territoriale peut
franchir la passerelle et se porter en ligne, tandis que l'artillerie
écrase de son feu la première ligne adverse, qui doit se reporter 400
mètres en arrière et se retrancher. Au cours de cette attaque, le
Commandant de Parseval avait été tué à son poste de combat.
Citation du Commandant de Parseval : «
Officier d'une énergie et d'un courage admirables. Blessé une première fois
le 24 août 1914, une deuxième fois le 6 novembre, a été frappé mortellement
à Bixshoote le 10 novembre, à son poste de commandement, qu'il s'était
refusé à abandonner ».
Le 11, les glorieux débris du Régiment (une Compagnie
par Bataillon) parviennent à stabiliser la situation.
Le 12, le Régiment, réduit à une
Compagnie, est en réserve à Zuydcoote.
Du 13 au 15, il se reconstitue en trois
Compagnies et se trouve à l'effectif de 430 hommes par suite de l'arrivée
des conducteurs, remplacés par des Territoriaux.
Le 16 novembre, le Lieutenant-Colonel de
Saintenac prend le commandement et reforme huit Compagnies avec un renfort
de 400 hommes, premier renfort de la classe 1914, félicité par le Général
d'Urbal pour sa bonne tenue et sa belle allure sous les armes. Ces jeunes
soldats allaient montrer que, si les leçons de leurs aînés avaient été
courtes, leur courage et leur volonté suppléeraient à leur manque de
connaissances. Le même jour, le Général Duchêne remplace le Général Grossetti
à la tête de la 42e
Division. Ce n'est pas en vain qu'il fait appel à
l'énergie de chacun: dans cette longue période de positions, la ténacité va
devenir une des plus belles qualités des troupes.
Du 17 au 23 novembre, le Régiment est en
secteur à Het-Sas, aux fermes du Carrefour, du Paratonnerre, du Moulin, et
cntinue l'organisation défensive.
Le 23 novembre, nouveau renfort de 500
hommes, laissés au repos. Ce n'est que le 5 décembre que le Régiment peut
être reconstitué en entier.
Le 9 décembre, il est au repos une
journée à Poperinghe. Il remonte en ligne le 10 entre Ypres et Zillebecke,
tenant la Butte-aux-Anglais. Les Allemands viennent d'inaugurer de nouveaux
travaux défensifs et, en face du Régiment, ont créé un ouvrage important,
puissamment armé de mitrailleuses : le fortin de Zillebecke.
Le 14 et le 15, l'attaque est tentée,
mais sans succès.
Le 16, le Bataillon Barbaroux attaque à
fond. Deux colonnes d'assaut sont lancées, celle de gauche en avant (3e
Compagnie,
Capitaine Darthos, et 4e, Sous-Lieutenant
de Corny). D'un élan superbe, les jeunes soldats franchissent d'un bond les
tranchées. Il est 11 h. 25. Le fortin parait abandonné, trois hommes
arrivent au sommet ; mais des feux violents partent de partout et couchent
les assaillants au pied du talus. Le Sous-Lieutenant de Corny est tué. La 3e
Compagnie a perdu plus de 80 hommes. Citation du
Sous-Lieutenant de Corny : « Le 16 décembre 1914, a conduit vers un fortin
allemand la colonne de droite du 94e et,
sous un feu terrible, a réussi à en atteindre le talus, à s'y maintenir
plusieurs heures Jusqu'au moment où il a été tué en cherchant encore à
gagner de l'avant » ; Hommage à tous ces jeunes gens, tombés dans leur
premier combat, entraînés par le désir de venger leurs aînés.
Jusqu'au 30 décembre, le Régiment reste
en secteur et repousse plusieurs attaques. L'ennemi est encore une fois
frustré de sa victoire. Il n'a pu ni déborder notre flanc gauche, ni
atteindre Calais, ni percer notre ligne.
Relevé le 30 décembre, le Régiment quitte
cette terre de Belgique, qu'il vient de défendre âprement, pendant de
longues semaines, au mépris des pertes et des fatigues les plus grandes, en
combattant sur un terrain détrempé, quelquefois mouvant, dans la vase
jusqu'aux genoux.
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