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VESTIGES 1914 1918

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Extrait de l’historique du 46 RI

 

LES ATTAQUES DE VAUQUOIS

 

Nous sommes en février 1915. Depuis plus de quatre mois que le front est stabilisé, les positions se sont organisées. Le système des tranchées a été adapté à la défense du terrain qu'on occupe. Les premiers abris se sont creusés, dans lesquels les troupes en réserve se reposent. Des réseaux de fil de fer protègent les premières lignes.

 

Après un repos dans la région de Saint-André, la 10e D. I. part pour attaquer Vauquois. De ce village, situé sur une colline abrupte, entre la Meuse et la forêt d'Argonne, l'ennemi a fait une position formidable. Il ne veut pas perdre cette sentinelle avancée dans la vallée de l'Aire, d'où il peut surveiller tout le pays, de notre côté, jusqu'à Clermont-en-Argonne.

 

A travers les maisons écroulées, il a construit tout un système de tranchées et de boyaux. Il se terre dans les caves et dans ses abris solides se croit invulnérable. Vauquois est pour les Allemands une forteresse contre laquelle tous nos assauts doivent se briser.

 

Le 17 février 1915, une première attaque a lieu. Le 46e est en réserve dans la forêt de Hesse. L'attaque ne réussit pas.

 

On va la recommencer les 28 février et 1er mars, cette fois avec succès. Au pied de cette butte à pic, le 46e est en ligne, sous le commandement du colonel Simon, à côté du 89e. Une forte préparation d'artillerie incendie la colline. Et pour défoncer les caves où l'ennemi se croit en sûreté, les 270 de marine tirent avec précision. La route est ouverte à nos troupes d'assaut.

 

L'attaque va se déclencher. Il est 9 heures 15. La musique du régiment, massée au pied de la butte, dans le ravin où pleuvent les obus, entonne la charge. D'un élan superbe, nos soldats gravissent la pente abrupte et le bruit des éclatements se mêle aux accents de la Marseillaise. Des musiciens tombent, mortellement frappés. Sous la direction du sous-chef de musique Laty, les survivants continuent leur hymne au milieu des clameurs de la bataille et du fracas des explosions.

 

Nos premières vagues sont sur le plateau, et plusieurs fractions pénètrent jusqu'au centre du village. Mais l'ennemi se ressaisit : Vauquois est devenue l'objectif de toute l'artillerie qu'il a massée, à droite, dans le bois de Cheppy et, à gauche, dans la forêt d'Argonne. Nos positions sont prises en enfilade. Nous avons de la peine à nous maintenir, car nos pertes sont lourdes. L'ennemi nous contre-attaque et nous refoule. Nous devons redescendre les pentes de la colline. Il faut recommencer la préparation d'artillerie, réorganiser les troupes d'assaut.

 

Le 1" mars à midi, l'attaque à nouveau se déclenche. Toute la 10e D. I. y prend part. Le 46e est encore en première ligne. Malgré les pertes de la veille, malgré les rafales des mitrailleuses, malgré l'artillerie qui tire sans arrêt, il escalade à nouveau la colline.

 

Cette fois nos compagnies parviennent à se maintenir jusqu'au centre du plateau. Les autres régiments de la D. I. atteignent aussi le village. Pendant trois jours, ce ne sont que combats incessants. L'ennemi contre-attaque. Il est repoussé.

 

Sous les feux d'enfilade de Cheppy et de Boureuilles notre nouvelle disposition s'organise, à quelques mètres des Allemands. Le 4 mars, le régiment est relevé par les coloniaux. Une violente contre-attaque a lieu au moment même de la relève. Elle est repoussée.

 

Le 46e va au repos : nos pertes sont lourdes. Certaines compagnies ont perdu tous leurs chefs de section. 1.600 hommes ont été tués ou blessés. Mais la plus grande partie de Vauquois est à nous ; l'ennemi est privé de son observatoire.

 

Comment relater tous les exploits qui furent accomplis durant ces violents combats ! le sergent-fourrier Bardet, s'élançant à la tête de sa section, et sonnant lui-même deux fois la charge. Le sergent Lévêque, entraînant ses hommes en leur disant : « Je marche en tête, j'ai confiance en vous, suivez-moi ! » et tombant peu après ; le lieutenant Borel, n'abandonnant la ligne qu'après avoir été deux fois blessé ; le capitaine Llédos entraînant ses hommes à l'assaut malgré trois blessures ; le sous-lieutenant Casenave donnant à tous l'exemple du courage ; le médecin aide-major Vincent, le médecin auxiliaire Fouchet pansant les blessés sous la mitraille.

 

Et que d'autres dont l'héroïque courage fut un des facteurs du succès de nos armes !

 

Le 15 mars, alors que le 46e tient à nouveau les tranchées sur la butte, le 76° attaque et réussit à progresser, malgré les feux terribles de l'adversaire. Le régiment subit la réaction de l'artillerie ennemie au milieu du chaos des maisons écroulées, dans des tranchées à peine creusées que les obus bouleversent.

 

Ce jour-là, le soldat Collignon trouve la mort, en se précipitant au secours d'un camarade blessé, auprès de la ferme de la Cigalerie. C'est une belle figure qui disparaît. Cet homme de devoir a toujours suivi le régiment, encourageant ses camarades par l'exemple et par la parole, refusant les galons d'officier afin de rester près du soldat qu'il aimait profondément.

 

Fin mars, une attaque allemande réussit à nous prendre une tranchée grâce à l'emploi de liquides enflammés. Quelques éléments d'un bataillon du 46' reprennent le terrain perdu. Par une vigoureuse contre-attaque à la grenade.

 

Les 5 et 6 avril, une dernière tentative du 89e pour s'emparer de la totalité de la butte est empêchée par le mauvais temps. Ce sera fini, on va rester sur les positions conquises et des mois vont se passer, où Français et Allemands, à quelques mètres les uns des autres, vont se faire la guerre la plus terrible et la plus tenace, la guerre de mines et d'engins de tranchées.

 

Sans que jamais aucune progression s'effectue d'aucun côté, Vauquois va devenir un enfer et les pertes seront cruelles.

 

LE SÉJOUR A VAUQUOIS

 

Le régiment reste à Vauquois de mars 1915 à juillet 1916. Sur ce volcan en éruption constante, où les engins de mort les plus formidables pleuvent de tous côtés, les soldats, du 46e doivent faire preuve d'une ténacité exemplaire. Les relèves sont dures ; de Parois, d'Aubréville, de Vrainoourt, le régiment se dirige à travers la forêt de Hesse, vers la colline. Le silence de la nuit est seulement coupé par l'éclatement des obus envoyés par les Boches sur les routes de ravitaillement.

 

On arrive aux « Ailleux », et là, à la lueur des fusées éclairantes, la butte apparaît sous son aspect sinistre. Trois boyaux zigzagant sur son versant sud sont les seuls chemins conduisant au sommet. Et pour les atteindre, il faut traverser à découvert la région boisée de la barricade, où de temps à autres les canons de Cheppy envoient des rafales. Puis le ravin de la Cigalerie, ravin de mort, où quelques gabions, tous les jours démolis, sont une protection inefficace. Le Boche le sait, et, la nuit, comme tout le ravitaillement, toutes les relèves sont obligées de passer à découvert, il balaye le ravin à coups de canon.

 

Puis, c'est la dure ascension de cette butte presque à pic. Pendant que dans l'attente de la relève, là-haut en première ligne, la lutte de grenades continue, il faut, avec le moins de bruit possible, rejoindre son poste de combat, à quelques mètres de l'ennemi. Faire du bruit, révéler un mouvement quelconque chez nous, c'est déchaîner un crapouillotage, transformer la butte en un brasier ardent, et dans les étroits boyaux, à ce moment-là garnis de monde, c'est semer la mort.

 

Que de pertes ainsi, après l'attaque de mars, alors que dans les tranchées, à peine ébauchées, tous les jours détruites, nous restions sans abri, sous les crapouillots et sous le tir d'enfilade de Cheppy et de Boureuilles.

 

Les premiers mois sont durs. Dans les premières lignes, nous sommes à portée des grenades, et des grenadiers français et boches en échangent tout le jour et toute la nuit.

 

Nos grenadiers font des merveilles ; la citation de l'un d'eux, le soldat Bousquet, dira avec quelle ardeur ils soutenaient le combat contre l'ennemi :

« Soldat Bousquet ; de service aux tranchées et très grièvement atteint au ventre par un éclat de grenade. A néanmoins continué à riposter à coups de grenades jusqu'à ce que la rafale fût terminée. Alors seulement s'est préoccupé de se faire panser, disant en partant : « Tenez bon, les amis, je reviens ».

 

En arrière sont installés les crapouillots, mortiers de toutes sortes, lançant les engins de tous calibres, depuis le projectile de 3,5, jusqu'à la torpille de 58. Les Boches nous répondent avec des « minen » énormes qui pèsent jusqu'à 100 kilogr. et font un bruit formidable en explosant.

 

Les premiers abris ne résistent pas à de tels engins ; combien se sont écroulés en ensevelissant les occupants !

 

C'est alors qu'on se met à faire des sapes et la vie sous terre commence dans les nombreuses galeries qui se creusent.

 

Les forces d'occupation ont été diminuées. Alors qu'aux premiers jours, les hommes étaient presque au coude à coude dans les premières tranchées, il ne reste plus que quelques veilleurs dans les petits postes. Le gros des forces est dans des abris sûrs, prêt à se rendre en ligne si l'ennemi attaque. Et alors qu'aux premières semaines d'énormes pertes étaient comptées dans les régiments qui ne restaient pourtant que quatre jours en ligne, il n'y avait plus, à la, fin, que des pertes légères, parmi le 46e et le 31e qui se relèvent mutuellement tous les douze jours environ.

 

Raconter l'histoire de Vauquois, c'est faire l'éloge d'un soldat qui restera légendaire au 46e : le crapouilloteur. Pendant que des centaines de projectiles pleuvent à la fois, il est seul sur la butte. Tout le monde se terrait dans les abris aux premiers éclatements. Lui - (c'est son devoir et le métier pour lequel il a été volontaire) - doit rester auprès de ses pères et, sitôt la rafale ennemie apaisée, répondre par une rafale plus forte. Souvent ses mortiers sont enterrés, il le change de place, guettant les projectiles ennemis qui circulent dans l'espace, se gardant toujours, car il a acquis une grande habitude. Et au milieu des explosions, dans le feu et la fumée, il charge encore, rallume ses mèches et ne s'arrête qu'après avoir eu le dernier mot.

 

Les bombardiers ont été admirables. Dirigés par les Rio, les Maus, officiers donnant l'exemple et tirant eux-mêmes le crapouillot, ils ont joué avec la mort durant des journées terribles, le sourire aux lèvres, pour défendre leurs camarades.

 

Dans les tranchées bouleversées, ils étaient, après le bombardement, la pelle à la main, pour remettre leurs batteries en place. Aussi sur la poitrine de tous ces braves, fiers de la tâche qu'ils ont remplie, on voyait la croix de guerre ornée de multiples étoiles. A cette guerre d'engins de tranchées et de grenades, une guerre plus terrible encore, plus traîtresse va se juxtaposer. C'est la guerre de mines. Le 23 mai 1915, la première mine allemande explose, mettant près de cent hommes hors de combat.

 

Alors, sur le front étroit du plateau, les puits se creusent, s'enfoncent de plus en plus, cherchant à aller sous les tranchées de l'adversaire pour le faire sauter.

 

Les sapeurs, nuit et jour, travaillent, et comme l'ennemi creuse aussi de son côté, on cherche à passer au-dessous de sa galerie pour lui démolir son travail.

 

Tous les jours des camouflets et des mines explosent.

 

Dans les galeries, des sapeurs sont ensevelis. Dans les sapes, le gaz meurtrier fait son ouvrage de mort. C'est alors un assaut de courage entre tous pour délivrer les camarades. Parmi ceux qui, au péril de leur vie, cherchent à ravir à la mort une proie certaine, le lieutenant Ducrot, pénétrant dans une sape envahie par les gaz, après une explosion, put retirer son capitaine et quinze hommes évanouis.

 

Après l'explosion, c'est le crapouiliotage qui commence.

 

Le soir, ce sont des écoutes au « géophone » pour savoir si l'ennemi n'est pas au-dessous de nos abris.

 

Cette vie sur Vauquois, dans l'anxiété constante de la mort affreuse dans un abri profond où une mine peut vous enterrer, demande une force morale très grande. Aussi est-on heureux de se détendre un peu quand le régiment va bivouaquer à la Barricade, au Rendez-vous de Chasse, ou se reposer en arrière, à Aubréville ou à Parois.

 

En juillet 1915, alors que le régiment est à Partis, une forte attaque ennemie se déclenche, en Argonne, à la Haute-Chevauchée. Le boche réussit à enlever nos premières lignes, grâce à l'emploi d'obus à gaz.

 

La division est envoyée, pour rétablir la situation, à travers les ravins où les gaz séjournent, n'ayant comme protection que les premières lunettes et le premier tampon ; le 46e se dirige vers la cote 263, où il doit contre-attaquer. Deux bataillons sont engagés et réussissent à arrêter l'effort des troupes du Kronprinz. Celui-ci ne peut exploiter son succès de la veille.

 

Après un repos de quelques jours à Clermont-en-Argonne, c'est encore Vauquois, ses crapouillotages et ses mines.

 

Le ravitaillement devient difficile dans les derniers jours de février, alors que vers l'Est la grande attaque sur Verdun se déclenche. Les routes sont bombardées, les voies Decauville sont coupées. Dans la forêt de Hesse, les obus à gaz tombent. Sur la droite, jusqu'à la Meuse, c'est une fournaise.

 

A quelques kilomètres, Avocourt, Malancourt, 304, Mort-Homme ne sont que des incendies. Sur la butte il faut veiller. Les nerfs se tendent et les Allemands bombardent plus fort.

 

On ne peut évoquer les nuits de veille sur Vauquois sans signaler, parmi tous ceux qui firent preuve de courage durant les longues heures de quart, l'acte de bravoure du caporal Durand, de la 5e compagnie.

 

C'est une nuit d'hiver. Durand est de quart avec son escouade. On veille. Tout à coup, dans les fils de fer, un léger bruit se fait entendre. Aucune patrouille de chez nous n'est dehors. Ce ne peut être que l'ennemi. Aux créneaux, les fusils s'arment, prêts à faire feu sur la première ombre. Durand ne bronche pas. Résolument il enjambe le parapet et va vers le réseau de fil de fer, son arme à la main. Il aperçoit deux hommes, ce sont des Boches. Seul, il se précipite sur ces ennemis qui, surpris, lâchent leurs armes et se rendent au courageux caporal.

 

Ces deux prisonniers viennent à point pour donner des renseignements au commandement français.

 

En mars, l'activité est plus intense. Une mine française explose et fait sauter les tranchées ennemies. Le 46e réussit à occuper la lèvre sud de l'entonnoir et installe un petit poste auprès de l'emplacement de l'église de Vauquois.

 

Mais, le 14 mai, l'ennemi prend sa revanche. Une mine chargée de plus de 60 tonnes d'explosifs fait sauter le saillant N.-O. de la Butte, nous ensevelissant le peloton qui l'occupait. Un violent bombardement suit aussitôt. On croit à l'attaque et des pertes nous sont infligées ; les Allemands n'attaquent pas ; notre barrage les cloue sur place. Autour de ce cratère de près de soixante mètres de diamètre, des petits postes s'organisent. Cette mine coûte 120 hommes, presque tous tués.

 

Deux mois se passent encore sur Vauquois.

 

Sous le commandement des colonels Simon, Le Bouhelec et Jouinot, durant une année et demie, le 46e a occupé ce secteur difficile, devant un ennemi qui avait ses premières lignes à quelques mètres. Sur cette butte qu'il a conquise, et où pendant des mois le même combat meurtrier s'est déroulé sans interruption sous le feu des « minenwerfers » crachant leur mitraille, le régiment de LA TOUR D'AUVERGNE a écrit une belle page glorieuse.

 

Relevé en juillet, le 46e est emmené dans la région de Saint-Dizier et au camp de Mailly afin de se réentrainer et de s'initier aux nouvelles méthodes d'attaque.