LES ATTAQUES
DE VAUQUOIS
Nous sommes en
février 1915. Depuis plus de quatre mois que le front est stabilisé, les
positions se sont organisées. Le système des tranchées a été adapté à la
défense du terrain qu'on occupe. Les premiers abris se sont creusés, dans
lesquels les troupes en réserve se reposent. Des réseaux de fil de fer
protègent les premières
lignes.
Après un repos
dans la région de Saint-André, la 10e D. I. part pour attaquer Vauquois. De
ce village, situé
sur une colline abrupte, entre la Meuse et la forêt d'Argonne,
l'ennemi a fait une position
formidable. Il ne veut pas perdre cette sentinelle avancée dans la vallée de l'Aire, d'où il peut
surveiller tout le pays, de notre côté, jusqu'à Clermont-en-Argonne.
A travers les
maisons écroulées, il a construit tout un système de tranchées et de
boyaux. Il se terre dans les caves et dans ses abris solides se croit
invulnérable. Vauquois est pour les Allemands une forteresse contre laquelle tous nos assauts doivent se briser.
Le 17 février
1915, une première attaque a lieu. Le 46e est en réserve dans la forêt de
Hesse. L'attaque ne réussit pas.
On va la
recommencer les 28 février et 1er mars, cette fois avec succès. Au pied de cette butte à pic, le
46e est en ligne, sous le
commandement du colonel Simon, à côté du 89e. Une forte préparation
d'artillerie incendie la colline. Et pour défoncer les caves où l'ennemi se croit en sûreté, les 270 de
marine tirent avec
précision. La route est ouverte à nos troupes d'assaut.
L'attaque va
se déclencher. Il est 9 heures 15. La musique du régiment, massée au pied
de la butte, dans le ravin où pleuvent les obus, entonne la charge. D'un
élan superbe, nos soldats gravissent la pente abrupte et le bruit des
éclatements se mêle aux accents de la Marseillaise. Des musiciens tombent,
mortellement frappés. Sous
la direction du sous-chef de musique Laty, les survivants continuent leur hymne au milieu des
clameurs de la bataille
et du fracas des explosions.
Nos premières
vagues sont sur le plateau, et plusieurs fractions pénètrent jusqu'au centre du village. Mais
l'ennemi se ressaisit : Vauquois
est devenue l'objectif de toute l'artillerie qu'il a massée, à droite, dans le bois de Cheppy
et, à gauche, dans la forêt d'Argonne. Nos positions sont prises en enfilade. Nous avons de la
peine à nous maintenir, car nos pertes sont lourdes. L'ennemi nous contre-attaque et nous refoule. Nous
devons redescendre les pentes de la colline. Il faut recommencer la
préparation d'artillerie,
réorganiser les troupes d'assaut.
Le 1"
mars à midi, l'attaque à nouveau se déclenche. Toute la 10e D. I. y prend part. Le 46e est encore en
première ligne. Malgré les
pertes de la veille, malgré
les rafales des mitrailleuses,
malgré l'artillerie qui tire sans arrêt, il escalade à nouveau la colline.
Cette fois nos
compagnies parviennent à se maintenir jusqu'au centre du plateau. Les autres régiments de la
D. I. atteignent aussi le village. Pendant trois
jours, ce ne sont que combats incessants. L'ennemi contre-attaque. Il est repoussé.
Sous les feux
d'enfilade de Cheppy et de Boureuilles
notre nouvelle
disposition s'organise, à quelques mètres des Allemands. Le 4 mars, le
régiment est relevé par les coloniaux. Une violente contre-attaque a lieu
au moment même de la relève. Elle est repoussée.
Le 46e va au
repos : nos pertes sont lourdes. Certaines compagnies ont perdu tous leurs chefs de section.
1.600 hommes ont été tués ou blessés. Mais la plus grande partie de
Vauquois est à nous ;
l'ennemi est privé de son observatoire.
Comment
relater tous les exploits qui furent accomplis durant ces violents combats ! le sergent-fourrier Bardet,
s'élançant à la tête de
sa section, et sonnant lui-même deux fois la charge. Le sergent Lévêque, entraînant ses hommes
en leur disant : « Je marche en tête, j'ai confiance en vous,
suivez-moi ! » et tombant peu après ; le lieutenant Borel, n'abandonnant la ligne qu'après avoir été deux fois blessé ; le capitaine Llédos entraînant ses hommes à l'assaut malgré trois blessures ; le sous-lieutenant Casenave
donnant à tous l'exemple du courage ; le médecin aide-major Vincent, le
médecin auxiliaire Fouchet pansant les blessés sous la mitraille.
Et que
d'autres dont l'héroïque courage fut un des facteurs du succès de nos armes !
Le 15 mars,
alors que le 46e tient à nouveau les tranchées sur la butte, le 76° attaque et réussit à
progresser, malgré les
feux terribles de l'adversaire. Le régiment subit la réaction de l'artillerie ennemie au milieu du
chaos des maisons écroulées, dans des tranchées à peine creusées que les
obus bouleversent.
Ce jour-là, le
soldat Collignon trouve la mort, en se précipitant au secours d'un camarade blessé, auprès de la
ferme de la Cigalerie. C'est une belle figure qui
disparaît. Cet homme de devoir a toujours suivi le régiment, encourageant ses camarades par l'exemple et par la parole, refusant les galons
d'officier afin de rester
près du soldat qu'il aimait profondément.
Fin mars, une
attaque allemande réussit à nous prendre une tranchée
grâce à l'emploi de liquides enflammés. Quelques éléments d'un bataillon du 46' reprennent le terrain perdu. Par une vigoureuse contre-attaque à la grenade.
Les 5 et 6
avril, une dernière tentative du 89e pour s'emparer de la totalité de la
butte est empêchée par le mauvais temps. Ce sera fini, on va rester sur les positions
conquises et des mois vont se
passer, où Français et Allemands, à quelques mètres les uns des autres, vont se faire la guerre la plus
terrible et la plus tenace,
la guerre de mines et d'engins de tranchées.
Sans que
jamais aucune progression s'effectue d'aucun côté, Vauquois va devenir un enfer et les pertes
seront cruelles.
LE SÉJOUR A
VAUQUOIS
Le régiment
reste à Vauquois de
mars 1915 à juillet 1916. Sur ce
volcan en éruption constante, où les engins de mort les plus formidables pleuvent de tous côtés, les
soldats, du 46e doivent faire
preuve d'une ténacité exemplaire. Les relèves sont dures ; de Parois, d'Aubréville, de Vrainoourt, le régiment se dirige à travers la forêt de Hesse, vers la colline. Le
silence de la nuit est seulement
coupé par l'éclatement des obus envoyés par les Boches sur les routes de ravitaillement.
On arrive aux
« Ailleux », et là, à la lueur des fusées
éclairantes, la butte apparaît sous son aspect sinistre. Trois boyaux zigzagant sur son versant sud sont les seuls chemins
conduisant au sommet. Et pour les atteindre, il faut traverser à découvert
la région boisée de la barricade, où de temps à autres les canons de Cheppy envoient des rafales. Puis le ravin de la Cigalerie, ravin de mort, où quelques gabions, tous les jours démolis, sont une protection inefficace. Le Boche le sait, et, la nuit, comme tout le ravitaillement, toutes les relèves sont
obligées de passer à découvert, il balaye le ravin à coups de canon.
Puis, c'est la
dure ascension de cette butte presque à pic. Pendant que dans l'attente de
la relève, là-haut en première ligne, la lutte de grenades continue, il faut, avec le
moins de bruit possible, rejoindre
son poste de combat, à quelques mètres de l'ennemi. Faire du bruit, révéler un mouvement quelconque chez nous,
c'est déchaîner un crapouillotage, transformer la
butte en un brasier ardent, et dans les étroits boyaux, à
ce moment-là garnis de
monde, c'est semer la mort.
Que de pertes
ainsi, après l'attaque de mars, alors que dans les tranchées, à peine
ébauchées, tous les jours détruites, nous restions sans abri, sous les
crapouillots et sous le tir d'enfilade de Cheppy
et de Boureuilles.
Les premiers
mois sont durs. Dans les premières lignes, nous sommes à portée des grenades, et des grenadiers
français et boches en
échangent tout le jour et toute la nuit.
Nos grenadiers
font des merveilles ; la citation de l'un d'eux, le soldat Bousquet, dira
avec quelle ardeur ils soutenaient le combat contre l'ennemi :
« Soldat
Bousquet ; de service aux tranchées et très grièvement atteint au ventre par un éclat de grenade. A
néanmoins continué à riposter à coups de grenades jusqu'à ce que la rafale
fût terminée. Alors
seulement s'est préoccupé de se faire panser,
disant en partant : « Tenez bon, les amis, je reviens ».
En arrière
sont installés les crapouillots, mortiers de toutes sortes, lançant les engins de tous calibres,
depuis le projectile de 3,5, jusqu'à la torpille de 58. Les Boches nous
répondent avec des « minen » énormes qui pèsent jusqu'à 100 kilogr. et font un bruit formidable en explosant.
Les premiers
abris ne résistent pas à de tels engins ; combien se sont écroulés en ensevelissant les occupants
!
C'est alors
qu'on se met à faire des sapes et la vie sous terre commence dans les nombreuses galeries qui se
creusent.
Les forces
d'occupation ont été diminuées. Alors qu'aux premiers jours, les hommes étaient presque au coude à
coude dans les premières
tranchées, il ne reste plus que quelques veilleurs dans les petits postes.
Le gros des forces est dans des abris sûrs, prêt à se rendre en ligne si
l'ennemi attaque. Et alors qu'aux premières semaines d'énormes pertes
étaient comptées dans les régiments qui ne restaient pourtant que quatre
jours en ligne, il n'y
avait plus, à la,
fin, que des pertes légères, parmi le 46e et le 31e qui se relèvent mutuellement tous les douze jours
environ.
Raconter
l'histoire de Vauquois, c'est faire l'éloge d'un soldat qui restera légendaire au 46e : le crapouilloteur.
Pendant que des centaines de projectiles pleuvent à la fois, il est seul
sur la butte. Tout le monde se terrait dans les abris aux
premiers éclatements. Lui -
(c'est son devoir et le métier pour lequel il a été volontaire) - doit rester auprès de ses pères et,
sitôt la rafale ennemie
apaisée, répondre par une rafale plus forte. Souvent ses mortiers sont enterrés, il le change de place,
guettant les projectiles ennemis qui circulent dans l'espace, se gardant
toujours, car il a acquis une grande habitude. Et au milieu des explosions,
dans le feu et la fumée, il charge encore, rallume ses mèches et ne s'arrête qu'après avoir eu le dernier mot.
Les bombardiers
ont été admirables. Dirigés par les Rio, les Maus, officiers donnant l'exemple et tirant eux-mêmes le crapouillot, ils ont joué avec la mort durant des journées terribles,
le sourire aux lèvres, pour défendre leurs camarades.
Dans les
tranchées bouleversées, ils étaient, après le bombardement, la pelle à la main, pour remettre leurs
batteries en place. Aussi
sur la poitrine de tous ces braves, fiers de la tâche qu'ils ont remplie, on voyait la croix de
guerre ornée de multiples étoiles. A cette guerre d'engins de tranchées et de grenades, une guerre plus
terrible encore, plus traîtresse va se juxtaposer. C'est la guerre de
mines. Le 23 mai 1915, la première mine allemande explose, mettant près de cent hommes hors de
combat.
Alors, sur le
front étroit du plateau, les puits se creusent, s'enfoncent de plus en
plus, cherchant à aller sous les tranchées de l'adversaire pour le faire sauter.
Les sapeurs,
nuit et jour, travaillent, et comme l'ennemi creuse aussi de son côté, on cherche à passer
au-dessous de sa galerie pour
lui démolir son travail.
Tous les jours
des camouflets et des mines explosent.
Dans les
galeries, des sapeurs sont ensevelis. Dans les sapes, le gaz meurtrier fait
son ouvrage de mort. C'est alors un assaut de courage entre tous pour délivrer les
camarades. Parmi ceux qui, au péril de leur vie, cherchent à ravir à la
mort une proie certaine,
le lieutenant Ducrot, pénétrant dans une sape envahie par les gaz, après une explosion, put retirer
son capitaine et quinze hommes évanouis.
Après
l'explosion, c'est le crapouiliotage qui
commence.
Le soir, ce
sont des écoutes au « géophone » pour savoir si l'ennemi n'est pas au-dessous de nos abris.
Cette vie sur
Vauquois, dans l'anxiété constante de la mort affreuse dans un abri profond
où une mine peut vous enterrer, demande une force morale très grande. Aussi est-on heureux de se
détendre un peu quand le régiment va bivouaquer à la Barricade, au Rendez-vous de Chasse, ou se reposer
en arrière, à Aubréville ou à Parois.
En juillet
1915, alors que le régiment est à Partis, une forte attaque ennemie se déclenche, en Argonne, à la Haute-Chevauchée. Le boche réussit à enlever nos premières lignes, grâce à l'emploi d'obus à gaz.
La division
est envoyée, pour rétablir la situation, à travers les ravins où les gaz séjournent, n'ayant comme protection que les premières lunettes et le premier tampon ; le 46e
se dirige vers la cote
263, où il doit contre-attaquer. Deux bataillons sont engagés et réussissent à arrêter l'effort des troupes du Kronprinz. Celui-ci ne peut
exploiter son succès de la veille.
Après un repos
de quelques jours à Clermont-en-Argonne, c'est encore Vauquois, ses crapouillotages et
ses mines.
Le
ravitaillement devient difficile dans les derniers jours de février, alors que vers l'Est la grande
attaque sur Verdun se déclenche.
Les routes sont bombardées, les voies Decauville sont coupées.
Dans la forêt de Hesse, les obus à gaz tombent. Sur la droite, jusqu'à la Meuse, c'est une fournaise.
A quelques
kilomètres, Avocourt, Malancourt,
304, Mort-Homme ne sont que des incendies. Sur la butte il faut veiller. Les nerfs se tendent et les Allemands bombardent plus fort.
On ne peut
évoquer les nuits de veille sur Vauquois sans signaler, parmi tous ceux qui firent preuve de
courage durant les longues heures de quart, l'acte de bravoure du caporal Durand, de la 5e compagnie.
C'est une nuit
d'hiver. Durand est de quart avec son escouade. On
veille. Tout à coup, dans les fils de fer, un léger bruit se fait entendre. Aucune patrouille de chez nous n'est dehors. Ce ne peut être que l'ennemi. Aux créneaux, les fusils s'arment, prêts à faire feu sur la première ombre. Durand ne bronche pas. Résolument il enjambe le parapet et va vers le réseau
de fil de fer, son arme à
la main. Il aperçoit deux
hommes, ce sont des Boches. Seul, il se précipite sur ces ennemis qui, surpris, lâchent leurs armes et se rendent au courageux caporal.
Ces deux
prisonniers viennent à point pour donner des renseignements au commandement français.
En mars,
l'activité est plus intense. Une mine française explose et fait sauter les tranchées ennemies. Le 46e réussit à occuper la lèvre sud de l'entonnoir et installe un petit poste auprès de l'emplacement de l'église de Vauquois.
Mais, le 14
mai, l'ennemi prend sa revanche. Une mine chargée de plus de 60 tonnes
d'explosifs fait sauter le
saillant N.-O. de la Butte,
nous ensevelissant le peloton qui l'occupait. Un violent bombardement suit aussitôt. On croit à l'attaque et des pertes nous sont infligées ; les Allemands
n'attaquent pas ; notre barrage les cloue sur place. Autour de ce cratère de près de soixante
mètres de diamètre, des petits postes s'organisent. Cette mine coûte 120 hommes, presque tous tués.
Deux mois se
passent encore sur Vauquois.
Sous le
commandement des colonels Simon, Le Bouhelec et Jouinot, durant une année et demie, le 46e a occupé ce
secteur difficile,
devant un ennemi qui avait ses premières lignes à quelques mètres. Sur cette butte qu'il a conquise,
et où pendant des mois le même combat meurtrier s'est déroulé sans interruption sous le feu des « minenwerfers
» crachant leur mitraille, le régiment de LA TOUR D'AUVERGNE a écrit une belle page glorieuse.
Relevé en
juillet, le 46e est
emmené dans la région de Saint-Dizier et au camp de Mailly afin de se réentrainer et de s'initier aux nouvelles méthodes d'attaque.
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