COMBATS
DE LIRONVILLE
(21,
22, 23 Septembre 1914)
Le
5 août, le 346e, constitué sous le commandement du lieutenant-colonel
Cadet, s'embarque à Melun. Il fait partie de la 73e division, qui est mise
à la disposition du général gouverneur de Toul pour la défense de la place.
Et
dès lors commence une période de déplacements, de marches et de travaux où
le régiment, sans être réellement engagé, affirmera tout de suite ses
qualités d'entrain, de cohésion et d'endurance. Par une chaleur écrasante,
tous ces hommes, qui ne sont plus entraînés, vont couvrir étapes sur
étapes, creuser des tranchées, construire des réseaux de fil de fer,
marchant souvent nuit et jour, avides de rencontrer enfin l'ennemi,
impatients de participer à la bataille qui, croit-on, sera courte et
décisive.
Le
lundi 17 août, à Toul, le drapeau tout neuf, étincelant, est présenté au
régiment. Le 346e a désormais une âme. L'émotion est générale; tous les
yeux, fiers et résolus sont fixés sur l'emblême
sacré; chacun fait le serment de bien le servir et le défendre.
L'ennemi
s'est promis d'entrer à Nancy dès les premiers jours; mais il n'aura pas
cette joie. La bataille du Grand-Couronné bat son
plein. Il s'agit tout d'abord, pour le régiment, d'organiser le plateau de Saizerais comme couverture de la place de Toul. Il
s'agit d'empêcher l'ennemi de tourner par l'ouest la montagne
Sainte-Geneviève (21-28 août). Puis il faut aller garder les ponts de la
Meurthe derrière le 20e corps qui résiste sur la rive droite (5-6
septembre). Il faut ensuite revenir couvrir Toul vers le bois de la
Côte-en-Haye; la première du régiment, la 23e compagnie reçoit le baptême
du feu sous la forme de quelques obus qui ne font pas de mal; allons, les
artilleurs ennemis ne sont pas bien dangereux !
Mais
c'est Verdun maintenant que l'ennemi cherche à investir complètement aux
derniers jours de la bataille de la Marne. Le 346e vient aider à dégager le
fort de Troyon en attaquant vers le nord et menaçant les derrières du corps
allemand qui assiège le fort; au prix de pertes insignifiantes, il pousse
ainsi jusqu'à Saint-Maurice et Thillot-sous-les-Côtes (13-15 septembre) où
la 18e compagnie, à la suite de petits engagements avec la cavalerie
bavaroise, fait le premier prisonnier pris par le régiment.
Combats de Lironville
La
place est cédée à une division du 8e corps d'armée et la 73e division est
remise à la disposition du général gouverneur de Toul ; le 346e se
porte dans la région de Flirey.
L'ennemi
a repris son offensive et s'avance dans la direction de Toul. Le 21 au
soir, la 19e compagnie (capitaine Brandelet)
arrête par son feu l'ennemi qui débouche du bois de Mortmare
après avoir contraint le 356e à se replier. Le capitaine Dervillée, avec le 6e bataillon, occupe le bois de Jury
à gauche de la division; il s'y retranche, se couvre par des abatis, y
résiste toute la journée du 21 jusqu'à 17 heures, ne se replie que sous la
menace d’enveloppement, poursuivi par les feux de l'ennemi qui occupe les bois
de la Hazelle, couvert par la 23e compagnie qui,
restée dans les bois sous l'énergique commandement du capitaine Vesque, pendant plus de deux heures tient, sous son feu
deux bataillons ennemis et ne se replie à à 20
heures qne lorsque les colonnes d’assaut sont
arrivées à 30 mètres d'elle.
Le
22, au matin, le régiment est rassemblé au bois des Hayes, face à Lironville, que l'ennemi a occupé, le 5e bataillon à
gauche du 5e bataillon du 356e, le 6e bataillon en réserve. La division a
reçu l'ordre d'attaquer Lironville devant lequel s'étend un mamelon aplati et un glacis qui aboutit au
village, à peine coupés de petits bois de sapins. Le 5e bataillon
(bataillon Gillot) a comme objectif le clocher et doit essayer de déborder
le village par l'ouest.
A
15 heures, le débouché du bois s'effectue en ordre parfait, compagnie par
compagnie, mais il faut bien vite se déployer car les sections sont prises
de front et d'enfilade par un feu violent et nourri de fusils et de
mitrailleuses qui semble partir du bois de la Voisogne
et des tranchées devant le village, à moins de 400 mètres. Les pertes sont
sensibles, la progression est extrêmement lente, on est fauché par le feu
d'un ennemi invisible auquel on ne peut répondre et sur lequel les quelques
obus de 75 qui soutiennent ont un effet nul.
Un
vide s’étant produit au cours de la progression entre le 5e bataillon et le
bataillon du 356e, le 6e bataillon
reçoit l’ordre de le combler. Successivement, les 23e et 24e compagnies
débouchent du bois des Hayes, mais sont immédiatement prises à partie par
l'artillerie et les mitrailleuses allemandes. Une fumée épaisse couvre le
terrain, rendant toute liaison impossible. Le capitaine de Féligonde arrive à se déployer, avec un peloton de la
24e, à la hauteur de fractions du 356e qu'il rencontre à la crête. Toutes
les fractions s'accrochent sur le plateau, font tentative sur tentative
pour se porter en avant, mais sont recouchées chaque fois avec de nouvelles
pertes par de violentes rafales de mitrailleuses.
Vers
19 heures, un ordre de rassemblement parti, semble-t-il, de la droite, se
propage jusqu'à la gauche de la ligne, provoquanl
un mouvement de repli. Mais le lieutenant colonel
Cadet et son adjoint, le capitaine Maréchal, arrête les fractions en
retraite vers le coude de la route Noviant-aux-Prés
Lironville. Le régiment voisin, qui a gagné
presque en entier Noviant-aux-Prés, est ramené
vers 21 h. 30 par le capitaine Maréchal. A la faveur de la nuit, toutes les
positions de première ligne conquises dans la journée sont réoccupées.
Le
23, à l'aube, l'ennemi ouvre un feu nourri de toutes ses mitrailleuses sur
la première ligne qui subit de fortes pertes. Les sections de renfort, puis
le 367e sont jetés en avant sans pouvoir réussir à faire avancer la
première ligne qui est clouée au sol. De même, les 23e et 24e compagnies
viennent renforcer le 356e. Le 5e bataillon du 353e, qui a reçu l'ordre de
déborder le village de Lironville par la gauche,
échoue dans son mouvement, impuissant lui aussi en face du feu ennemi qui
fauche ses unités.
Toute
la journée, ce sont des alternatives d'avance et de recul pour se
cramponner à la crète militaire du plateau de Lironville. D'une part, le feu ajusté des mitrailleuses
et les violents rafales de l'artillerie ennemie; d'autre part le tir trop
court de notre artillerie provoquent des pertes énormes en différents
endroits de la ligne, où des fractions tenetent
de se replier mais sont vivement et énergiquement maintenues par les
officiers et les gradés. Des lignes entières de tirailleurs aplatis sur le
sol semblent rester impassibles dans cet enfer … ce sont des morts !
Les blessés s'enfuient vers l'arrière, affolés, ou se traînent comme ils
peuvent pour trouver un abri. Et cependant, à chaque instant, des fractions
se reportent en avant avec acharnement, essaient d'aborder la ligne
ennemie; elles sont malheureusement bien vite balayées.
Enfin,
à la tombée de la nuit, la 145e brigade est relevée, par la 146e. Le 346e
va cantonner à Domèvre-en-Haye.
Dans
ces journées de fin septembre, il s'agissait d'arrêter le 13e corps badois
qui menaçait Toul. La 73e division y est parvenue
toute seule; ses attaques acharnées ont fait croire à l'ennemi qu'il avait
affaire à des forces supérieures, l'ont intimidé au point qu'il n'a même
pas essayé de sortir de ses tranchées devant Lironville.
Les
pertes, hélas ! sont cruelles : 3 officiers et 250 hommes tués,
15 officiers et 396 hommes blessés, 1 officier et 113 hommes disparus. Le
lieutenant-colonel Cadet est grièvement blessé et remplacé: au commandement
du régiment par le chef de bataillon Gillot.
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