Les Éparges
Nom à jamais
mémorable dans les annales du 106ème ; nom terrible par les
deuils et les souffrances qu'il représente, nom glorieux aussi par les
héroïsmes dont il évoque le souvenir. Pendant 4 mois, Officiers et soldats,
sans connaître une seule défaillance, rivalisèrent d'ardeur et d'endurance.
Ni les bombardements incessants sur nos tranchées, ni les fatigues des
travaux continus, ni les rigueurs du froid qui raidissait les membres, ni
la pluie transperçant les vêtements et inondant les boyaux, ni même la boue
gluante, rien ne put entamer l'énergie et le moral admirable des soldats du
106ème qui, dans les combats de Février et d'avril 1915,
allaient donner toute la mesure de leur valeur.
Première
attaque des Éparges
17 – 22
Février 1915
Le 17 Février,
le 106 doit attaquer la crête des EPARGES au S.-E. du village, après
préparation d'artillerie, et en profitant de l'explosion de fourneaux de
mines qui ont été préparés par le Génie.
L'attaque sera
faite par le 2ème Bataillon soutenu par le 3ème
tandis que le 1er Bataillon reste en réserve à la garde de nos
positions.
A 14 heures,
les mines explosent, creusant d'énormes entonnoirs. Nos Compagnies d'assaut
s'élancent sur la crête avec un entrain endiablé et s'emparent des
premières tranchées ennemies, faisant une vingtaine de prisonniers. Mais
là, elles sont arrêtées par les obus et les rafales de mitrailleuses. La
nuit, assez calme, nous permet d'organiser la position conquise.
Mais le 18,
dès le matin, nos unités avancées sont prises sous une pluie d'obus de gros
calibre qui les harcèle pendant plus de 3 heures. Fortement éprouvées,
ayant perdu presque tous leurs officiers et plus du tiers de leurs
effectifs, elles ne peuvent supporter le choc de la contre‑attaque
allemande qui se déclenche à 8 heures et doivent se replier sur nos
positions de départ.
Le jour même,
à 15 heures, l'attaque est renouvelée par les 2 compagnies les moins
éprouvées du 2ème Bataillon soutenues par le 3ème
Bataillon et une compagnie du 132ème. Les tranchées boches sont
reprises et cette fois, nous devions les garder définitivement. En vain,
les obus criblent le terrain jour et nuit, en vain, l'ennemi lance de
furieux assauts, 4 dans la journée du 19, un cinquième le 20, un sixième
enfin le 21. Mais nos soldats se maintiennent stoïquement sur la position.
Le 22, les 2ème et 3ème Bataillons, qui ont beaucoup
souffert, vont prendre à REBRUPT un repos bien gagné. Ce succès a été
chèrement acheté : 300 tués, dont 8 Officiers. 300 disparus et plus de 1000
blessés.
Deuxième
attaque des Éparges
6 – 16 Avril
1915
Le 5 Avril, le
106 reçoit l'ordre de participer le lendemain à
une attaque générale du VIème C.A. ayant pour objet de chasser
les Allemands des HAUTS-DE-MEUSE. La 24ème Brigade, encadrée,
doit attaquer la hauteur des EPARGES par régiments accolés. Le 106ème
à droite.
Au régiment,
c'est le 1er Bataillon, sous les ordres du Commandant BESTAGNE,
qui a l'honneur de mener l'attaque.
Les mouvements
de mise en place s'exécutent péniblement car, depuis le matin, une pluie
continue a détrempé le sol et les boyaux et
tranchées ne sont plus que ruisseaux de boue liquide dans laquelle on
s'enfonce jusqu'aux genoux.
A 16 heures,
fin de la préparation d'artillerie, toute la ligne d'attaque débouche avec
le plus bel élan. Nos 2 compagnies de tête atteignent leurs objectifs, mais
sont arrêtées par un barrage intense d'artillerie de gros calibre. Le 6 au
matin, les Allemands lancent une violente contre‑attaque. Surpris par
la violence du choc, submergés par le nombre et paralysés dans leur
défense, car les fusils et mitrailleuses encrassés par la boue ne
fonctionnent plus, les hommes du 1er Bataillon doivent lâcher le
terrain conquis.
Une nouvelle
attaque lancée vers 16 heures après préparation d'artillerie nous le rend
bientôt avec une quinzaine de prisonniers (le lieutenant-colonel BARJONET
qui commande le régiment a été blessé à la jambe mais refuse de se laisser
évacuer et conserve son commandement).
L'ennemi
n'encaissa pas ce nouvel échec sans protester par des violents
bombardements et des attaques rageuses pour nous arracher notre gain.
Celles‑ci, lancées dans la journée du 7 et dans la nuit du 10, furent
repoussées et après quelques fluctuations amenées par un repli momentané de
quelques éléments, toutes les positions conquises furent maintenues.
Le drame des
ÉPARGES était terminé. La belle conduite du 106 fut consacrée par les
ordres du jour suivants :
ORDRE N° 137
DE LA Ière ARMÉE DU 7 MARS 1915
« Est
cité à la Ière Armée, le 106ème Régiment
d'infanterie.
A enlevé
brillamment la pointe ouest d'une crête transformée par l'ennemi en
véritable forteresse. Ayant dû l'évacuer à la suite d'un bombardement
d'artillerie lourde des plus violents et ininterrompu pendant 19 heures,
s'en est emparé de nouveau par une vigoureuse contre‑attaque à la
baïonnette, résistant ensuite victorieusement à une série de contre‑attaques
ennemies.
Signé :
Général ROQUES ».
ORDRE DU
CORPS D'ARMÉE N° 60
« Le 27
Février, dans une opération brillante, la 24ème Brigade a enlevé
de haute lutte une partie importante de la position des EPARGES. L'ennemi
avait accumulé sur cette hauteur escarpée, des travaux considérables.
Depuis 4 mois,
avec une science avisée, le Capitaine du Génie GUNTHER dirigeait par la
sape et par la mine les travaux de siège régulier qui devaient ouvrir la
voie à notre infanterie.
Le jour de
l'attaque, après une quadruple explosion de nos fourneaux de mines et une
remarquable préparation par l'artillerie, le brave 106ème
Régiment d'infanterie, dans un élan magnifique, escalada les pentes
abruptes et couronna toute la partie ouest de la position.
Au même
moment, le 132ème R.I. aborda crânement la partie ouest des
EPARGES et s'y installa. Le 19 Février, l'attaque fut poursuivie sur tout
le front.
Au cours de
cette bataille de 4 jours, pendant lesquels l'ennemi nous disputa le
terrain avec la dernière âpreté, nos troupes furent soumises à un
bombardement formidable. Elles conservèrent néanmoins les positions
conquises. Elles repoussèrent deux contre‑attaques furieuses, firent
éprouver des pertes sévères à l'ennemi, lui enlevèrent 700 mètres de
tranchées, lui prirent 2 mitrailleuses, 2 minenwerfer
et firent 175 prisonniers.
Le 106ème,
le 132ème, le 67ème (Bataillon Haguenin),
la compagnie du Génie qui prirent la tête dans la
colonne d'assaut ont noblement soutenu le renom de la vaillance du 6ème
Corps d'Armée et montré une fois de plus quel succès naît de la fraternité
des armes et de l'union des cœurs.
Le Général,
commandant le 6ème Corps d'Armée, adresse ses félicitations à
ces braves troupes. Il salue pieusement la glorieuse mémoire de ceux qui
sont morts pour le pays.
Il félicite
les Colonels BARJONET, commandant le 106ème R.I. et BACQUET,
commandant le 132ème R.I. qui ont magnifiquement conduit leurs
régiments au feu.
Signé :
Général HERR ».
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