BOIS-LE-PRETRE
(Octobre 1914 – juillet 1915)
Jusqu’au 31 octobre, organisation d'un front
défensif dans la région Flirey, Limey, Ravin de l'Ache. Occupation de la première
ligne, travaux, séjours au cantonnement se succèdent, sans grande activité
de combat.
Le 3 octobre, le commandant. Gillot est nommé
lieutenant-colonel et conserve le commandement du régiment.
Le 21, le régiment reçoit du dépot un renfort qui complète l'effectif de ses
compagnies. Voilà déjà trois mois que la guerre dure, qu'on vit d'une vie
insensée, faite de fatigues, de souffrances et d'émotions, dans la fumée,
la poussière et la boue. On entoure curieusement, on interroge ces nouveaux
venus; ils viennent à peine de quitter une vie pleine de douceurs, dont on
est si loin qu’on a presque oubliée, qu'on voudrait tant retrouver bientôt!
Mais est-ce possible ?
Le 31 octobre, tandis que le 5e bataillon reste
au bois Montjoie et aux tranchées de Lironville,
le bataillon Dervillée se porte vers la lisière
sud-est du Bois-le-Prêtre pour soutenir l'attaque du bataillon Duchaussoy, du 167e, sur le débouché est de la tranchée
du Père Hilarion. Le bataillon est tout de suite engagé et immédiatement
arrêté devant une ligne de tranchées fortement organisée vers la
bifurcation des tranchées forestières de Fey et
de Montauville.
C’est une nouvelle guerre qui commence, dans un
bois touffu où les tireurs ennemis nous guettent, postés dans des tranchées
masquées par des buissons, postés derrière les arbres ou même sur les
arbres.
Attaque du Père
Hilarion
Les jours suivants, le 6e bataillon améliore
ses positions, avance légèrement ses tranchées, repousse une attaque
ennemie.
Le 2 décembre, les 17e et 18e compagnies et la
5e section de mitrailleuses se portent à Montauville,
en vue d'attaquer, avec deux compagnies du 369e, sous les ordres du
lieutenant-colonel commandant le 353e, les tranchées allemandes formant
saillant en avant de la maison forestière du Père Hilarion. Deux jours
après, ces deux compagnies occupent l'ouvrage G, à droite du 6e bataillon.
Le 6, la 19e arrive également à Montauville pour
être en réserve de l'attaque.
Le peu d'activité de l'ennemi favorise la
préparation de l'attaque; pas un coup de fusil, pas un coup de canon.
L'artillerie est mise en place sans être inquiétée; des canons sont en
batterie jusque sur la première ligne.
L'attaque se déclenche le 7. Après une
préparation d'artillerie qui dure deux heures et bouleverse complètement les
tranchées ennemies, le capitaine Rozier, avec les
17e et 18e compagnies, progresse à cheval sur la route de Pont-à-Mousson,
se fraye un passage au travers d'abatis et de réseaux de fil de fer et,
sans avoir tiré un coup de fusil, arrive à hauteur de la barricade de la
route et occupe cette barricade.
L'ennemi n'a pu résister dans ses premières
tranchées à cause de la violence de la préparation d'artillerie, mais ses
réserves sont prètes à participer à la défense. A
peine la 17e est-elle sur la position allemande depuis deux heures qu'une
contre-attaque se déclenche, menée par un effectif de six à huit compagnies
qui sont immédiatement arrêtées et rejetées après un court combat.
Le lendemain 8, c'est à l'ouest de la route que
1e 5e bataillon attaque, bien que l'ennemi ait tenté lui-même, quelques
instants auparavant, de sortir de ses tranchées. La progression est
sensible. Elle continue le 9 jusqu'au boyau A1,B1
tandis que le 6e bataillon, à gauche, se porte à hauteur du 5e. Le 10, le
6e bataillon, malgré un violent bombardement, occupe la crête dominant la
route de la Croix-des-Carmes, tandis que le 5e bataillon enlève d'assaut la
crête au nord de la fontaine du père Hilarion. Le 12, le 6e bataillon
atteint la tranchée de Vilcey.
Ces combats nous ont coûté 31 tués, 110 blessés
dont 3 officiers, 5 disparus. Mais voilà les positions ennemies de la forêt
fortement entamées; l'avance réalisée facilite les communications avec les
cantonnements de l'arrière ; la maison forestière du Père Hilarion et
la source où les Allemands venaient se ravitailler en eau sont maintenantl à nous; c'est nous qui installerons nos
cuisines à proximité de la source. Enfin et surtout, l'ennemi a été dominé,
bousculé et refoulé; nous prenons conscience de notre supériorité; n'est-ce
pas là le meilleur facteur pour exalter notre moral ?
La prise de la
ligne VIII et des blockhaus du Quart en Réserve
Le 5e bataillon a été rassemblé au réduit de Limey, le 6e occupe toujours le-secteur de la tranchée
de Vilcey où le combat continue de tranchée à
tranchée. C'est ainsi que nous passons la Noël, évoquant la douceur de
cette fête de famille des années précédentes, cette fête pour laquelle tant
d'entre nous espéraient être rentrés chez eux.
Le 25 ,janvier, à Gézoncourt, au cours d'une prise d'armes où le
lieutenant-colonel passa en revue le 5e bataillon, un certain nombre de
Croix de guerre sont distribuées, et la Croix de la Légion d'Honneur est
remise au capitaine Rozier, qui s'est distingué à
l'attaque du Père Hilarion et a été cité à l'ordre de l'armée.
Les 12 et 13 février, le 5e bataillon relève un
bataillon du 167e dans le secteur du Quart-en-Réserve. Voilà donc le
régiment tout entier dans ce Bois-le Prêtre qui aura si souvent l'honneur
des communiqués, dont chaque partie sera disputée pied à pied, où, pendant
plus d'un an et demi, les pertes seront journalières, les actions
offensives et défensives presque constantes.
Au Quart-en-Réserve, le secteur est
particulièrement agité : bombardements par l'artillerie et par les minenwerfer, actions de patrouilles, guerre de mines.
Le 5e bataillon y participe aux actions des 167e et du 168e, avec seulement
de courtes détentes aux cantonnements de Bézainville
et de Blénod-lès-Pont-à-Mousson. Or, l'hiver est
très humide; le mauvais temps presque constant transforme en cloaques ces
tranchées sans abris, que l'on ne sait pas encore aménager pour
l'écoulement des eaux et pour la protection des défenseurs. Qui eût pu
croire que des hommes non préparés à cette existence pourraient vivre
pendant des mois dans de telles conditions ?
Le 31 mars, le 5e bataillon, dont le commandant
Rozier, récemment promu chef de bataillon, a pris
le commandement, remonte au Quart-en-Réserve pour participer avec le 167e à
l'attaque de la ligne VIII et des blockhaus allemands C1, C2, C3.
La 19e compagnie, malgré un feu d'artillerie
qui la décime, reprend toute la partie de la tranchée sud hors bois perdue
la veille par le 167e. Le bombardement ennemi est effroyable et nos pertes
sont énormes; le capitaine Edel, qui commande la
compagnie, est tué.
Les 18e et 20e compagnies attaquent également
dans l'après-midi, franchissent la ligne VIII et se portent sur la ligne
des blockhaus. La 18e compagnie prend pied dans le C3 et s'y installe. La
20e compagnie est arrêtée par une violente fusillade ennemie qui la prend
de flanc ; le capitaine Lautrey qui la
commande refuse de se coucher à vingt pas des Allemands parce que sa
compagnie n'a pu s'emparer de l'objectif assigné; il tombe mortellement
frappé. Rendons hommage à cette belle figure du capitaine Lautrey, officier démissionnaire, d'un caractère élevé
et de la plus haute valeur morale, qui libéré par son age
de toute obligation militaire, a repris du service pour la durée de la
guerre, à ce savant dont un ouvrage sur la période latine, a été couronné
par l'Académie française. La 20e compagnie, privée de tous ses officiers,
s’accroche à la ligne VIII.
Le 1er avril, l’attaque reprend à midi. La 20e
compagnie atteint la ligne des blockhaus allemands, mais, presque
entièrement détruite par l’artillerie ennemie, les survivants ne peuvent
s'y maintenir. Les 17e et 19e compagnie ne peuvent
progresser que de quelques mètres. Enfin, dans la soirée, les 18e et 20e
compagnies repoussent succesivement trois
contre-attaques ennemies, fortes chacune d’un bataillon, en leur infligeant
de lourdes pertes.
Le bataillon est épuisé; il a perdu 76 tués
dont 3 officiers, 155 blessés dont 3 officiers, 31 disparus. Il est relevé
le 2 avril ayant, au prix de ces pertes douloureuses, fait preuve d'un bel
héroïsme dont témoigment tant de citations
élogieuses :
La 18e compagnie est citée à l'ordre de
l’armée :
« Le 31 mars, s’est portée vigoureusement
à l'attaque d'un grand blockhaus solidement construit et s’en est emparée
ainsi que de plusieurs tranchées avoisinantes. Malgré les contre-attaques
répétées de l'ennemi et en dépit des lourdes pertes subies, a conservé les
ouvrages conquis. A déjà fait preuve de mordant et de ténacité les 22 et 23
septembre et les 7, 8, 9 et 10 décembre 1914 dans différents. »
Citons, entre tant d'autres, le sous-lieutenant
Perin, qui est tué à la têtede
la compagnie au moment où celle-ci s'empare d'une tranchée ennemie.
Citons encore le soldat Guyard
qui, s'étant aperçu que, pendant la nuit plusieurs Allemands sont venus
occuper des trous d'obus en avant des tranchées que tient sa compagnie, se
porte seul au devant d'eux, en tue un et ramène
les sept autres prisonniers, dont deux blessés sur son dos.
Prise de la Croix des
Carmes
Pendant près de deux mois, le régiment va
occuper les secteurs de Vilcey et du Mouchoir,
organisant et améliorant les positions, harcelant l'ennemi, subissant
lui-même de fréquents bombardements, période coupée seulement de très
courts repos, soit par bataillon, soit par compagnie, à Blénod,
Maisonville, Montauville,
Maidières.
Le 7 avril, les 22e et 23e compagnies sont
envoyées dans la partie ouest du Quart-en-Réserve pour y creuser des
tranchées devant servir de base de départ à une attaque; mais les Allemands
découvrent les travailleurs à la lueur de fusées éclairantes et les
harcèlent d'obus. Le capitaine Brandelet,
commandant la 22e compagnie, reçoit de graves blessures dont il meurt deux
jours après.
La 20e compagnie est en réserve d'un bataillon
du 167e au Quart-en-Réserve. Le 1er mai, le 167e attaque la tranchée L6,
parvient jusqu'à un entonnoir placé devant cette tranchée et y appelle en
renfort le premier peloton de la 20e compagnie. Une fraction, commandée par
le lieutenant Lacroix, s'élance directement sur la tranchée L6, mais ne
peut y pénétrer. Une autre fraction, sous les ordres du sous-lieutenant
Gazin, traverse l'entonnoir, pénètre dans L6 et y progresse. Le lieutenant
Lacroix est tué, le sous-lieutenant Gazin blesse; le pelolon
perd, en outre, 7 tués et 16 blessés.
Le 8 juin, le 5e bataillon prend part à
l'attaque de la Croix-des-Carmes, sous de commandement du commandant Rozier, qui dispose en outre, du 3e bataillon du 167e.
Après une préparation d'artillerie qui dure une heure et demie, et à
laquelle l'ennemi répond par un bombardement intense qui détruit presque
complétement notre première ligne et certains éléments de nos deuxième et
troisième lignes, les compagnies se lancent à l'assaut. A la droite de
l'attaque, tout va bien, les tranchées allemandes sont entièrement
bouleversées, en certains endroits on ne les retrouve même plus. A la
gauche, la 19e compagnie, que commande le lieutenant Vuillermet,
a trouvé des Allemands dans l'ancien boyau conduisant de la ligne de départ
à l'objectif d'attaque; mais, débordés par la section de gauche et attaqués
vigoureusement par les trois autres sections, les Allemands ne peuvent
résister et sont tués ou faits prisonniers. Finalement, les compagnies
d'assaut sont définitivement maîtresses de leur objectif et commencent à
réorganiser toutes les tranchées dont le bouleversement est complet.
Le lendemain 9, le 5e bataillon occupe seul la
première ligne de la position conquise; il est soumis à un tir violent de
l'artillerie allemande, qui cause des pertes et retourne constamment les
tranchées, que l'on travaille à remettre en état.
Dans ces deux journées des 8 et 9 juin, le 5e
bataillon a perdu 39 tués, 81 blessés, 2 disparus. D'ailleurs, pendant
quatorze jours encore le bombardement de nos positions continue sans trève, occasionnant chaque jour des pertes encore
sévères.
Le 27 ,juin, le
lieutenant-colonel Gillot est évacué pour maladie. Le 5 juillet, le
lieutenant-colonel Le Roy, venu: du 168e, prend le commandement du
régiment.
Attaque ennemie du 8
Juillet
Le 8 juillet, le 5e bataillon est au secteur de
la Croix-des-Carmes, le 6e bataillon dans le secteur Mouchoir Père
Hilarion. Après un violent bombardement qui détruit nos tranchées, l'ennemi
lance une attaque puissante contre le 6e bataillon du 353e placé entre les
deux bataillons du 346e.
La 20e compagnie doit se replier sur le reste
du bataillon; la 19e compagnie, jusqu'alors tenue en réserve, est employée
à faire barrage pour arrêter l'offensive ennemie. De même, la 22e compagnie
réussit à endiguer l'avance ennemie.
Dans la soirée, les 18e et 19e compagnies
prennent l'offensive et réussissent à reprendre pied dans quelques éléments
de tranchée où l'ennemi avait progressé. Le lendemain, aidées par notre
artillerie, elles avancent encore légèrement.
Cette affaire, où le régiment a tenu ferme
malgré la violence de l'attaque, nous a coûté 18 tués, 110 blessés, 64
disparus.
Le lieutenant-colonel Le Roy, passé, au 168e le
5 août, est remplacé le 19 août au commandement du régiment par 1e
lieutenant-colonel Duriez.
Après avoir repoussé encore deux attaques
allemandes, les 10 et 11 août, le régiment est relevé au Bois-le-Prétre le 31 août, pour jouir enfin d'un repos bien
gagné dans les cantonnements d'Aingeray et de
Fontenoy-sur-Moselle. Comme il fait bon jouir de cette douceur, à laquelle
on n'a pas goûté depuis bientôt un an, de se trouver cantonné
tranquillement dans des villages qui vivent d'une vie presque normale, où
l'on ne risque pas de recevoir des obus, où le bruit de la canonnade ne
parvient même pas.
Et puis les permissions viennent d'être
instituées, Est-ce assez inattendu de jouir d'une permission en pleine
guerre ? Revoir les siens après plus d'un an d'absence ! Se
retremper pendant quelques jours dans la douce vie familiale !
C'est pleins d'entrain
que, le 19 septembre, nous nous mettons en marche pour réoccuper ce
Bois-Le-Prêtre où nous avons tant souffert, où nous avons perdu tant des
nôtres mais que, nous connaissons si bien, qui est un peu à nous.
Et alors commence une longue période pendant
laquelle les 5e et 6e bataillons, alternant avec les bataillons
correspondants du 353e, tantôt occupent les secteurs du Mouchoir et du
Carrefour, tantôt cantonnent à Jézainville et
Dieulouard. Durs séjours aux tranchées avec des actions de patrouilles,
avec des travaux fatigants sous des bombardements d'une terrible violence
où nos pertes sont fréquentes et lourdes, mais où l'ennemi a rarement la
supériorité. En revanche, agréables séjours dans ces cantonnements peu
bombardés, toujours les mêmes, où l'on se sent un peu chez soi, où l'on
connaît tous les habitants, où chacun retrouve ses hôtes, ses petites
habitudes, sa cuisine, sa popote, son coin de grange ou, de grenier qu'il y
a aménagé au dernier repos.
Cette fois, nous fêtons joyeusement la Noël et
1916, cette nouvelle année qui, chacun y compte bien, nous apportera la
victoire et nous rendra à nos foyers.
Le 7 juin 1916, le 353e est supprimé, son 5e
bataillon (bataillon de Roquetaillade) devient 4e
bataillon du 346e. Le régiment est grossi d'un bataillon qui ne lui est pas
inconnu, puisque les deux régiments viennent de combattre côte à côte
pendant dix-huit mois, unis par des liens de sympathie et de solidarité
militaire. Aussi, est-ce très cordialement que le bataillon de Roquetaillade est reçu au sein du 346e.
Le 25 juin est formé le dépôt divisionnaire
avec les quatrièmes compagnies de chaque bataillon (16e, 20e et 24e).
Chacune de ces compagnies est remplacée dans son bataillon par une
compagnie de mitrailleuses.
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