I.
— PREMIÈRE ATTAQUE GÉNÉRALE.
(9
Mai-15 Mai)
Le 3 mai, vers
5h 30, la Xe armée commence ses tirs de réglage ; deux jours de
suite, le 6 et le 7, le mauvais temps l'oblige à différer les tirs de
démolition ; l'attaque se trouve de ce fait reportée d'abord au 8, puis au
9 mai ; le maréchal French et le roi des Belges en sont avisés et ne
soulèvent aucune objection. L'opération du 9e corps contre Loos
est prévue pour la même date, mais le coup de main du 21e corps
sur l'« Ouvrage Blanc » doit avoir lieu la veille au soir.
Les tirs de démolition peuvent
enfin être exécutés le 8; l'artillerie allemande qui, le 6, avait répondu à
la nôtre par un bombardement assez violent sur le bois de Noulette, le
plateau de Notre-Dame-de-Lorette et Ecurie, ne réagit cette fois que sur
Notre-Dame-de-Lorette. Le résultat de nos tirs n'a pu être contrôlé avec
toute la précision désirable, la brume ayant gêné nos observateurs en ballon
et en avion. Néanmoins, le commandement estime que les ouvrages de première
ligne ont été détruits et que ceux de deuxième ligne ont tous été atteints
; sur la troisième ligne, les résultats n'ont pu être constatés. En somme,
l'artillerie semble avoir rempli la partie principale de sa tâche; quant à
« l'infanterie, elle est prête et ne demande qu'à marcher». D'après les
sondages atmosphériques, on peut espérer le beau temps; en conséquence, le
général d'Urbal décide que l'attaque aura lieu le lendemain.
Le 8 mai dans
la soirée, comme il était décidé, la 43e division attaque l'«
Ouvrage Blanc », qui, sur le chemin
d'Angres à Bully-Grenay, forme un saillant d'où l'ennemi pourrait prendre
en flanc, par ses feux, l'attaque principale. A 17 heures, cinq fourneaux
de mine bouleversent la première ligne ennemie; l'infanterie s'élance, et à
17h 30, tout l'ouvrage est en notre possession. Mais, à 18 heures, la
disparition du commandant des troupes d'attaque, mortellement blessé, et
les feux flanquants provenant des Cornailles amènent un fléchissement de
nos troupes. Les Allemands contre-attaquent avec des forces supérieures et
nous refoulent jusque dans les entonnoirs produits par les explosions de
nos fourneaux de mine; après une lutte acharnée qui dure toute la nuit,
nous ne tenons plus, le 9 au matin, que le saillant sud de l'ouvrage.
Le 9 au matin,
la visibilité est parfaite; le tir de préparation immédiate commence à 6
heures. L'attaque générale est lancée à 10 heures sur le front de 20
kilomètres qui s'étend de Chantecler (3 kilom. nord-est d'Arras) jusqu'au
chemin de Loos au Rutoire. L'ennemi, qui est sur ses gardes dès les
premiers jours d'avril, a renforcé depuis le 1er mai ses
positions en prévision de notre offensive, mais il ne croyait pas qu'elle
pût être aussi violente. S'il n'a pas été à proprement parler surpris, du
moins a-t-il été jeté sur une partie de son front dans le plus grand
désarroi par l'impétuosité de notre attaque.
L'action
principale est menée par les 21e, 33e, 20e,
17e et 10e corps.
Tandis qu'au
nord, à la gauche du 21e corps, la 92e division
territoriale a pour mission de maintenir l'inviolabilité de son front, le
reste de ce corps d'armée attaque par divisions accolées : 43e à
gauche, 13e à droite. La première se couvre à gauche dans la
direction de Liévin, la seconde masque Ablain-Saint-Nazaire qui constitue
une menace pour son flanc droit. Nos troupes ont en face d'elles dans ce
secteur des organisations particulièrement solides. Elles enlèvent assez
vite trois lignes de tranchées très rapprochées les unes des autres, mais,
vers 13 heures, elles se trouvent arrêtées par les feux d'artillerie
partant de Liévin, les tirs de barrage exécutés devant la chapelle de
Notre-Dame-de-Lorette et surtout par les feux de mitrailleuses qui les
prennent de flanc au nord et au sud ; à la fin de la journée, le 21e
corps n'a guère progressé que sur une profondeur de 200 mètres en moyenne.
Le 33e
corps a ses trois divisions en ligne ; pendant qu'à gauche la 70e
division masque Ablain-Saint-Nazaire et Carency, la 77e division au centre
et la division marocaine à droite s'élancent vers leurs objectifs. La 70e
division s'empare des lisières sud et du cimetière de Carency; elle
encercle ainsi le village au sud et au sud-est. Pendant ce temps, la 77e
division progresse rapidement; elle entre dans le château de Carleul,
atteint le cimetière de Souchez et s'empare du Cabaret Rouge ; quelques
fractions arrivent jusqu'aux abords de Givenchy, où viennent de pénétrer
des groupes de la division marocaine.
Celle-ci a
progressé en effet plus rapidement encore : d'un seul élan, elle a franchi
toutes les lignes de tranchées ennemies; à 11 heures, elle parvient à la
cote 123
(1 kilom. nord de Neuville-Saint-Vaast),
un peu après à la cote 1 40 ; des éléments isolés entrent même dans
Givenchy et atteignent la lisière de Petit-Vimy. « Chez l'ennemi, le
désarroi était manifeste; on rencontrait des résistances locales, mais plus
rien d'organisé ne tenait en face de nous. L'artillerie semblait même
avoir- amené ses avant-trains; le spectacle des coups fusants, très hauts,
envoyés au hasard, témoignait de la désorganisation de l'ennemi. »
Mais nos pertes
sont sérieuses; nos cadres ont beaucoup souffert et notre élan est brisé.
Notre ligne de combat, prise sous le feu des mitrailleuses installées au
nord de la Folie, canonnée presque de dos par les batteries de Souchez et
de Neuville, se maintient difficilement, mal soutenue par notre artillerie
qui manque de munitions. Les instructions antérieures ont bien en effet
prévu une consommation de 400 coups par pièce de 75, mais, à 11h 30, le
général commandant l'artillerie du 33e corps envoie l'ordre de
ne pas dépasser «coûte que coûte» 3oo coups par pièce. Dans ces conditions
il ne reste plus que 60 à 70 coups par pièce à dépenser avant la tombée de
la nuit, sur lesquels 50 sont réservés pour permettre de faire face aux
contre-attaques ennemies que tout fait présager. D'autre part, les
munitions supplémentaires mises par le général d'Urbal à la disposition du
commandant du 33e corps n'arrivent que tardivement à
Camblain-l'Abbé.
La situation
est critique; le général Blondlat, commandant la division marocaine, a
employé toutes ses réserves au cours de cette avance d'une rapidité
imprévue; la réserve de corps d'armée, à laquelle il fait appel dès 10h 45,
est restée à ses emplacements primitifs : Mont-Saint-Eloy et Acq, à 8
kilomètres de la ligne de feu ; le 8e zouaves envoyé par le
général Pétain n'arrive à la ferme de Berthonval qu'à midi 20; le commandant
du 33e corps n'a plus qu'un régiment de tirailleurs en réserve,
le général Blondlat ne dispose plus que de deux compagnies; aussi
n'engage-t-il les bataillons de zouaves que successivement et à partir de
15h 30. Le général d'Urbal a bien dirigé à 13h 30 une brigade de la 18e
division sur Camblain-l'Abbé tandis que l'autre brigade se rapproche et
s'établit, la tête à hauteur de Cambligneul, la queue vers Villers-Châtel.
Mais la première de ces brigades se trouve à Béthonsart, à 12 kilomètres de
la ligne de combat; elle ne parviendra qu'à 17h 15 à Mont-Saint-Eloy.
L'annonce de son arrivée permettra néanmoins au général Pétain de mettre de
15h 30 à 17 heures tous les bataillons de son dernier régiment à la
disposition du commandant de la division marocaine qui demande des troupes
pour « tenir le terrain et suppléer à l'insuffisance des munitions
d'artillerie par un solide appui donné à la première ligne ».
Mais les
renforts arrivent trop tard pour exploiter la percée qui vient d'être
réalisée un instant. En effet, pendant que ces mouvements s'exécutaient,
l'ennemi s’est ressaisi. Il a rassemblé tous les éléments disponibles à
proximité et, vers 15 heures, il lance une violente contre-attaque ; après
un combat acharné d'une heure et demie, nos légionnaires et nos
tirailleurs, à bout de forces, sont obligés de se replier jusqu'au chemin
creux de Souchez à Neuville-Saint-Vaast par la cote 123, où ils
s'organisent solidement.
La 77e
division a fléchi, elle aussi; le soir, elle ne tient plus que le Cabaret
Rouge et la route de Souchez à Carency. En vue de parer à tout événement,
le commandant de la Xe armée a mis à 18h 40 à la disposition du
général Pétain un régiment de la 18e division, et, bien que
soumises à un feu violent d'artillerie et de mitrailleuses, nos troupes
résistent dès lors à toutes les contre-attaques.
Dans cette
brillante opération, le 33e corps a pénétré pendant quelques
heures sur une profondeur de 4 kilomètres à l'intérieur des lignes ennemies
et dépassé en certains points la crête de Vimy. A lui seul il a fait 1.500
prisonniers, enlevé plusieurs canons et quelques dizaines de mitrailleuses.
A la droite du
33e corps, le 20e corps a ses deux divisions en ligne
39e division à gauche, 11e division à droite. Nos troupes
franchissent rapidement la première ligne de tranchées allemandes; à midi,
le hameau de la Targette est pris et dépassé de 600 mètres, le cimetière de
Neuville-Saint-Vaast est enlevé, mais la 11e division est
arrêtée par les puissantes organisations du «Labyrinthe ». On se bat dans
Neuville-Saint-Vaast : le village exerce sur une bonne partie du centre une
attraction qui y fait promptement affluer un grand nombre d'unités ; elles
s'y entassent, s'y mêlent et s'engagent dans un combat de rues dans un
désordre indescriptible. Le général Balfourier prescrit alors de tourner le
village par le nord; le général d'Urbal le presse d'atteindre la ligne 140,
les Tilleuls et met dans ce but à sa disposition un régiment de la 67e
brigade, en réserve d'armée. Malgré ce renfort, le 20e corps ne
réussit pas à atteindre ses objectifs; sur certains points, il est même
obligé de céder une partie du terrain conquis et il reperd le cimetière de
Neuville-Saint-Vaast.
Le général
d'Urbal fondait de grandes espérances sur l'action du 17e corps,
mais celui-ci, ainsi du reste que le 10e à sa droite, va se
heurter à des positions où ont été multipliés les défenses accessoires et
les abris-cavernes que le tir de l'artillerie n'a pu complètement détruire;
de plus, la parallèle de départ a été tracée à une trop grande distance des
lignes ennemies. Aussi, lorsque à 10 heures nos troupes se lancent à
l'assaut, elles sont fauchées par le feu des mitrailleuses placées au
nord-est et à l'est de Roclincourt ainsi qu'à Chantecler ; seule, la 34e
division s'empare de la première ligne allemande, mais elle en est rejetée
par une contre-attaque. Bien qu'ayant subi des pertes considérables, les 17e
et 10e corps reprennent l'offensive à 16 heures; pour les mêmes
raisons que dans la matinée, ils subissent un nouvel échec.
Pendant que
dans le secteur de l'action principale nous réalisons d'importants progrès,
la 17e division ( 9e corps) attaque dans la direction
de Loos. Elle pénètre « sans coup férir » dans les positions ennemies,
enlève deux lignes de tranchées et progresse vers le village ; mais
exposées au feu des mitrailleuses et des nombreuses pièces d'artillerie qui
concentrent leur tir sur cet étroit front d'attaque, nos troupes sont
obligées de s'arrêter. Des contre-attaques lancées vers 15 heures et dans la
nuit du 9 au 10 les chassent de la plus grande partie des positions
conquises. La 17e division a fait 200 prisonniers, mais elle a
perdu un millier d'hommes
L'attaque de la
1ère armée britannique, comme celle de notre Xe armée, a été différée jusqu'au 9 mai. A 5
heures, l'artillerie de nos alliés commence ses tirs de destruction. A 5h
40, le 1er corps, le corps indien et le 4e corps
attaquent le front Aubers, Givenchy-lez-la Bassée. Le 4e corps
s'empare des premières tranchées allemandes; mais le 1er corps
et le corps indien, accueillis par le feu nourri des mitrailleuses que
l'artillerie n'a pu détruire, sont rejetés dans leurs tranchées de départ.
Une seconde attaque lancée à 16 heures n'a pas plus de succès.
Dans la nuit du
9 au 10, l'armée belge, pour accrocher l'ennemi dans son secteur,
entreprend trois actions partielles; elle échoue devant les fermes
Terstille et Violette, progresse péniblement vers les « tanks à
pétrole » et parvient à organiser une petite tète de pont sur la rive
droite de l'Yser à 1 kilomètre et demi au nord-ouest de Dixmude.
Le détachement
d'armée de Belgique est d'abord plus heureux dans son attaque : nos
fusiliers-marins s'emparent brillamment de la ferme de l'Union, mais ils
s'y trouvent dans une situation intenable et ils seront obligés de
l'évacuer dans la nuit du 12 au 13.
Sans être
décisifs, les résultats de cette première journée étaient importants,
particulièrement du côté des 33e et 20e corps.
Finalement, nous étions maîtres des défenses allemandes sur un front de 7
kilomètres et une profondeur atteignant jusqu'à 2 kilomètres et demi. Nous
avions fait plus de 2.000 prisonniers, enlevé une douzaine de canons et une
cinquantaine de mitrailleuses. Mais le résultat le plus intéressant était
la complète désorganisation de nos adversaires : ceux-ci ne sont parvenus à
contenir nos troupes qu'en jetant dans la bataille des réserves hâtivement
amenées, et au fur et à mesure de leur arrivée.
Le commandement
français a l'impression que les Allemands sont incapables de résister à une
poussée vigoureuse et ininterrompue, d'autant plus que d'après les
identifications récentes l'ennemi n'aurait plus au maximum que quatre
divisions et demie disponibles sur le front occidental, et peut-être
seulement deux et demie. Aussi, dans l'après-midi du 9 et dans la matinée
du 10, le général Joffre donne-t-il l'ordre de transporter en Artois les 6e
et 8e divisions de cavalerie prélevées respectivement sur les
VIIe et IVe armées, et qui restent à sa disposition.
De son côté, le
général d'Urbal prescrit dans la soirée du 9 de progresser opiniâtrement
vers les objectifs déjà désignés. En particulier, le 21e et le
33e corps devront tenter de se donner la main à Souchez, le 21e
corps débordant le village par le nord-est, pendant que la 77e
division complétera son encerclement par l'est en se portant sur la cote
119 ; la 70e division continuera l'investissement de Carency. Le
dernier régiment de la 18e division renforcera le 33e
corps. Le 20e corps, opérant en liaison intime avec la droite du
33e, achèvera la conquête de ses objectifs et facilitera par la
progression de son aile droite le mouvement du 17e corps; la 53e
division est mise à la disposition du général Balfourier.
Les 17e
et 10e corps sont renforcés en artillerie lourde pour leur
permettre de détruire les ouvrages qui les ont arrêtés la veille. Quant au
maréchal French, il fait connaître au général Foch qu'il reprendra la lutte
dans l'après-midi du 10 mai.
Mais toutes ces
attaques vont échouer; nos troupes sont fatiguées, les unités mélangées; de
plus, l'ennemi a fait venir de Lens et de Douai de nouveaux renforts avec
lesquels il contre-attaque sans arrêt sur Notre-Dame-de-Lorette, entre
Souchez et Neuville, ainsi que dans la région de Loos. Tous nos efforts ne
parviennent qu'à le contenir, et la division marocaine est refoulée un peu
à l'ouest du chemin creux de Souchez à Neuville par la cote 123. Le seul
succès de la journée du 10 mai est obtenu par la 70e division,
qui s'empare des lisières est de Carency, rendant ainsi très précaire la
situation des défenseurs du village. Les attaques anglaises échouent
complètement. Le maréchal French décide alors de suspendre pour quelque
temps l'offensive, et de concentrer tous ses moyens à l'aile droite de la 1ère
armée britannique, puis de reprendre la lutte dans la région de
Richebourg-l'Avoué. Le général d'Urhal prescrit par contre de poursuivre
l'action avec « la plus grande rapidité, parce que plus nous tarderons et
plus l'ennemi se retranchera et amènera contre nous des hommes et des
canons. La vitesse est un facteur indispensable du succès ». Son
intention était d'employer une partie de ses réserves au sud de la Scarpe
pour étendre son front de combat. Le général Joffre écarte pour le moment
cette idée. L'ordre d'attaque pour le 11 confirme donc la mission
primitivement assignée aux troupes de la Xe armée rejeter
l'ennemi de la crête 140, la Folie, Thélus. Les commandants des 33e
et 20e corps conservent à leur disposition respective les 18e
et 53e divisions qui leur ont été attribuées la veille. Les 17e
et 10e corps doivent reprendre les attaques sur leurs anciens
objectifs. Le général d'Urbal garde tout d'abord en réserve d'armée la 67e
brigade (17e corps) regroupée à Bray (1 kilom. sud de
Mont-Saint-Eloy) et le 2e corps de cavalerie; mais estimant que
le rôle principal incombe au 33e corps sur lequel il compte pour
ouvrir la voie aux autres, il met à la disposition du général Pétain
d'abord la 67e brigade puis une brigade de la 55e
division qui vient d'arriver en Artois. H ne conserve donc en fin de compte
à sa disposition qu'une partie de la 55e division et le 2e
corps de cavalerie. Une préparation d'artillerie de deux heures précédera
l'attaque de l'infanterie. La situation générale semble nous être très
favorable et le commandant de l'armée attend de la journée du lendemain des
résultats aussi importants que ceux qui ont été obtenus le 9, ainsi qu'en
témoigne l'ordre du jour qu'il adresse à ses troupes : « Le moment est venu
de porter à l'ennemi le grand coup et de libérer définitivement notre sol
de la présence détestée de l'envahisseur »
Les résultats
ne vont pas répondre à son attente. L'attaque se produit le 11 à 14 heures;
le 21e corps fait quelques progrès vers la chapelle de
Notre-Dame-de-Lorette et l'investissement de Carency se resserre, mais sur
le front 119,140 l'attaque est arrêtée net par l'artillerie et les
mitrailleuses installées dans les maisons de Souchez et de
Neuville-Saint-Vaast, dont le cimetière retombe pourtant entre nos mains.
Enfin, au nord et à l'est de Roclincourt, nos troupes restent immobilisées
entre les tranchées de départ et les lignes allemandes. Devant Loos, la 17e
division n'est pas plus heureuse; elle est arrêtée par une artillerie
supérieure à la nôtre. En résumé, surtout le front, nous avons été tenus en
échec; l'ennemi a reçu d'importants renforts en artillerie et a eu le temps
de réaliser une solide organisation que nos canons ne sont pas parvenus à
entamer. Une nouvelle attaque contre la crête de Vimy ne semble avoir aucune
chance de succès en raison des feux de flanc partant de Souchez et de
Neuville-Saint-Vaast. Il n'y a donc plus qu'à s'arrêter momentanément et à
concentrer tous les efforts sur la conquête de ces deux puissants bastions.
Une autre
raison rend d'ailleurs difficile la continuation de la lutte sous sa forme
actuelle; c'est la dépense de projectiles, qui est considérable et dépasse
de beaucoup toutes les prévisions : dans la seule journée du 9 mai, plus de
30.000 obus d'artillerie lourde ont été tirés. Dès le début de la bataille,
le général d'Urbal a donné l'ordre de ménager les munitions ; de son côté,
le général Joffre prend sans délai des mesures en vue de recompléter les
stocks et demande au ministre de la Guerre que le nombre des obus de 75,
livrés quotidiennement aux entrepôts, soit porté de 40.0 00 à 60.000. En
même temps, le général Foch prescrit au commandant de la Xe
armée de réduire les allocations des corps d'armée dont les attaques n'ont
que peu de chance de succès, pour pouvoir appuyer au contraire
énergiquement l'action des 33e et 20e corps.
La courte
période du 12 au 15 mai qui va suivre marque donc une première évolution
dans les idées du commandement pour la conduite des opérations de la Xe armée ; il s'agit maintenant avant tout de
se rendre maître rapidement des deux villages de Neuville-Saint-Vaast et de
Souchez. Le général d'Urbal prend dans ce but les dispositions suivantes :
Neuville-Saint-Vaast sera enlevé par une attaque de nuit du 20e
corps, renforcé de la 53e division; les opérations contre
Souchez seront menées par les 21e et 33e corps. Ces
deux points d'appui une fois tombés, l'attaque sur les objectifs initiaux
sera reprise aussitôt. Le commandant de la Xe armée pourra
intervenir au moyen du 3e corps (diminué de la 5e division)
que le général Joffre vient de mettre à sa disposition, du gros de la 55e
division et du 2e corps de cavalerie; la division marocaine, qui
a dû être relevée par la 18e division en raison de son état de
fatigue, va cantonner en arrière de la Xe armée ; elle pourra
être utilisée de nouveau à partir du 14.
Le 20e
corps se heurte à deux forts points d'appui de la défense allemande :
Neuville-Saint-Vaast, dont les caves bourrées de mitrailleuses ne peuvent
être détruites par notre artillerie, et le « Labyrinthe », inextricable
lacis de tranchées et de boyaux défendus avec vigueur. Aussi les troupes du
général Balfourier ne réalisent-elles du 12 au 14 mai que peu de progrès :
à Neuville se livrent jour et nuit de durs combats de rues; nos troupes ne
parviennent pas à tourner le village et ne progressent à l'intérieur que
maison par maison; dans le « Labyrinthe » se déroule en même temps une
lutte sanglante à travers les boyaux.
Dans la région
de Souchez, l'ennemi a utilisé les renforts qu'il a reçus pour organiser
face au sud une nouvelle position jalonnée par de forts points d'appui :
Carency, le bois 125 (au nord de ce village), Ablain-Saint-Nazaire et sa
sucrerie (5oo mètres à l'est du village), le château de Carleul. Cette
position, très solide, dont toutes les parties se flanquent réciproquement,
est étayée à chaque extrémité par deux puissants bastions : Carency et le
bois 125 à l'ouest, le château de Carleul à l'est. L'attaque directe du
château de Carleul serait vouée à un échec certain, les troupes étant
exposées au feu des mitrailleuses d'Ablain-Saint-Nazaire ; le général
Pétain propose donc d'exécuter cette opération en plusieurs phases :
occuper d'abord Carency et le bois 125, puis Ablain-Saint-Nazaire, enfin la
sucrerie, le château de Carleul et Souchez. Les opérations pourraient
toutefois prendre une allure plus rapide qu'il n'est prévu, si le 21e
corps parvenait à déboucher de Notre-Dame-de-Lorette et à prendre l'ennemi
à revers.
Le 12, le 21e
corps enlève la chapelle ainsi que le grand fortin de Notre-Dame-de-Lorette
et progresse à l'est. Le 33e corps s'empare de Carency et du
bois 125 dans la nuit du 12 au 13 ; en même temps que le village, 25
officiers et 1.000 hommes de troupe tombent entre nos mains ainsi qu'un
important matériel de guerre, dont 6 canons ou mortiers et de nombreux
lance-bombes. La perte de cette localité est un coup sensible pour nos
ennemis qui avaient ordre de la tenir à tout prix. Le 33e corps
continue sa progression vers le nord et, le 13 au matin, il est maître de
la majeure partie d'Ablain-Saint-Nazaire. Le général Pétain prend ses
dispositions pour attaquer Souchez le 14.
Le général Foch
félicite le commandant de la Xe armée des résultats obtenus et
lui donne l'ordre de continuer vigoureusement l'attaque principale, tout en
préparant la reprise de l'opération contre Loos et la cote 70 en vue de
faire tomber plus facilement les organisations ennemies d'Angres et de
Liévin. Le général d'Urbal a l'impression que l'ennemi fléchit devant les
21e et 33e corps et un message qu'il reçoit du grand
quartier général dans l'après-midi du 13 mai, annonçant que les Allemands
ont engagé toutes leurs réserves, ne peut que le confirmer dans cette
opinion. 11 prescrit en conséquence aux commandants des 9e, 20e,
17e et 10e corps d'armée de se tenir prêts à «
exploiter rapidement tout mouvement de retraite de l'ennemi pour le suivre
l'épée dans les reins sans aucun retard ». En particulier, le 9e
corps devra «sauter immédiatement sur Loos et la cote 70 » dans le cas où
l'adversaire viendrait à plier, et tenir sa cavalerie prête à intervenir.
Si les Allemands continuent la résistance, les attaques se poursuivront sur
les mêmes objectifs; le général Curé préparera en détail une nouvelle
opération sur Loos, afin de déborder l'ennemi que le 21e corps
assaillira en même temps de front.
Mais les
résultats obtenus à la fin de la journée du 13 et dans la journée du 4 ne
répondent pas aux espérances du commandement. Le 21e corps se
heurte à de très fortes organisations : au nord, le fond de Buval, ravin
profond et encaissé, parfaitement battu par l'artillerie allemande de la
région d'Angres, et dans lequel ont été aménagés de nombreux et solides
abris bien défilés; au sud, une position jalonnée par le chemin de la
Blanche-Voye qui se détache de la route de crête à 500 mètres à l'ouest de
la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette et descend sur Ablain-Saint-Nazaire;
le village lui-même est dominé par un puissant fortin. Tant que cette
position restera aux mains de l'ennemi, le 33e corps sera exposé
à des feux de flanc et de revers dans son mouvement vers Souchez; or, le 13
et le 14 mai, les attaques du 21e corps ne réalisent que des
progrès insignifiants sur les pentes méridionales du plateau de Lorette :
dans ces conditions, le commandant du 33e corps se voit obligé
de renoncer à l'opération qu'il avait montée pour le 14 en direction de
Souchez
Ce jour-là, le
général Joffre donne au commandant du groupe d'armées du Nord d'importantes
directives. Son intention est de faire continuer sans arrêt l'offensive de
la Xe armée jusqu'à la conquête de la crête Givenchy, Bailleul,
et, le cas échéant, d'exploiter le succès. Cette opération exigera des
moyens puissants; en conséquence, le commandant en chef va diriger sur la Xe
armée les 48e et 5e divisions : ce sont pour
l'instant ses dernières disponibilités. Pour s'en constituer de nouvelles,
il faut profiter de ce que l'armée anglaise va recevoir d'importants
renforts et poursuivre auprès du maréchal French la relève d'un certain
nombre de nos divisions. Les troupes britanniques sont à même de libérer au
nord d'Ypres deux divisions du détachement d'armée de Belgique, dont une
serait mise immédiatement à la disposition du général d'Urbal, et de
prendre à leur compte tout le secteur nord de la Xe armée
jusqu'au chemin de Bully-Grenay à Angres. Nos alliés monteraient alors la
nouvelle opération sur Loos, à laquelle nous ne pouvons donner, avec nos
seules ressources, toute l'envergure nécessaire, et l'ensemble de ces
mesures permettrait de rendre disponibles pour l'attaque, en plus de la 58e
division, les 17e, 152e et 153e divisions,
ainsi que la 92e division territoriale. Enfin, il est
indispensable que « la Xe armée maintienne à son action le
caractère d'intensité et de continuité (de jour et de nuit) qui seules
peuvent assurer un succès décisif. Il est d'ailleurs nécessaire, dans la
situation actuelle, de conserver ce même caractère à notre offensive, au
point de vue de nos obligations vis-à-vis de nos alliés ». En ce qui
concerne le développement ultérieur de l'action, lorsque nous serons
maîtres de la crête Givenchy, Bailleul, le général en chef a l'intention de
confier à la IIe armée le soin d'agrandir la brèche vers le sud.
Il estime toujours que nos « disponibilités en troupes et en munitions ne
nous permettent pas d'envisager actuellement une attaque de vive force au
sud d'Arras et qu'il sera à tous égards préférable de procéder dans cette
région par rabattements successifs lorsque nous aurons suffisamment
progressé vers le Point-du-Jour ».
De son côté, le
général Foch donne au commandant de la Xe armée l'ordre de
préparer une attaque générale contre la crête 119,140, la Folie, 132, en
l'appuyant au besoin par toute l'artillerie lourde, et en portant d'abord
l'effort principal à gauche. La base de départ de l'infanterie doit être
jalonnée par le plateau au nord de Souchez, Souchez, Neuville-Saint-Vaast,
Ecurie. De cette base de départ, une partie reste à conquérir. Il s'agit
donc « sous la protection de la 18e division fortement
organisée, d'occuper sans retard
« Le plateau
nord de Souchez avec ses abords. Affaire du 21e corps.
« Souchez.
Affaire des 21e et 33e corps.
«
Neuville-Saint-Vaast. Affaire du 20e aidé à droite et à gauche
si possible.
« Ces actions offensives doivent être le
travail de la journée du 15, à entreprendre vigoureusement et de bonne
heure. On y appliquera les forces nécessaires, appuyées par l'artillerie
lourde. »
Pour ne pas
retarder l'attaque principale contre la crête et la faire succéder le plus
vite possible aux opérations préliminaires qui viennent d'être indiquées,
la préparation de cette attaque sera poussée activement le 15 à la première
heure dans toute la partie du terrain qui se trouve dès à présent entre nos
mains. Enfin, pour appuyer les opérations de la Xe armée, le
détachement d'armée de Belgique mènera des actions locales le. 15 et le 16
au nord d'Ypres et le maréchal French reprendra l'offensive dans la nuit du
15 au 16.
Dans la nuit du
14 au 15, le général d'Urbal donne ses instructions pour l'attaque du
lendemain : le 21e et le 33e corps devront s'emparer
de Souchez et de la croupe au nord, sous la protection de la 18e
division maintenue provisoirement sur la défensive face à la crête 119,
140, Le 20e corps achèvera la conquête de Neuville-Saint-Vaast et
gagnera à l'est du village tout le terrain nécessaire pour se trouver face
à ses objectifs 140 exclu, la Folie, 132 ; il prêtera son appui à l'action
du 17e corps en attaquant le « Labyrinthe ». Le 17e
corps enlèvera les tranchées allemandes entre Ecurie et Roclincourt de
manière à pouvoir attaquer, le 16, la partie de la crête qui lui est
assignée comme objectif. Le 10e corps continuera ses travaux
d'approche, de manière à être prêt à reprendre l'action le lendemain.
L'attaque sera précédée d'une forte préparation d'artillerie qui durera
deux heures. La réserve d'armée est constituée par une brigade du 3e
corps, la division marocaine, la 48e division (en cours de
débarquement) et le 2e corps de cavalerie. Le commandant en chef
dispose en outre des 6e et 8e divisions de cavalerie.
L'attaque de
l'infanterie a lieu à des heures différentes, suivant le degré d'avancement
des destructions réalisées par l'artillerie : 12h 45 aux 21e et
33e corps, 15h 15 au 20e et 17h 10 au 17e.
Malgré une bonne préparation, nos troupes ne parviennent pas à progresser
sérieusement. Le 21e corps est tenu en échec à « l'Ouvrage Blanc
» et devant le fond de Buval par l'artillerie ennemie; il s'avance
cependant jusque sur les pentes qui descendent vers la sucrerie d'Ablain et
s'y maintient. Tous les efforts du 33e corps se brisent contre
le parc du château de Carleul, fortement organisé par l'ennemi. Le 20e
corps ne réussit à s'emparer que de quelques maisons de Neuville et
d'éléments de tranchées au « Labyrinthe ». Quant au 17e corps,
il ne peut déboucher en raison du tir de barrage de l'artillerie ennemie,
que nos contre-batteries n'ont pas réussi à neutraliser.
En résumé, la
journée du 15 mai ne nous a procuré ni Souchez, ni Neuville. Dans la
soirée, le général d'Urbal donne des instructions pour le lendemain et les
jours suivants. Le 9e corps, dont la 58e division va
être relevée par les troupes britanniques, devra maintenir avant tout
l'inviolabilité de son front qui sera étendu vers le sud, et couvrir la
gauche du 21e corps; en même temps il préparera une opération
contre la cité des Cornailles, en vue de coopérer avec le général Maistre à
l'encerclement d'Angres. L'action contre Loos est provisoirement
abandonnée. Après que la Xe armée aura conquis la base de départ
indiquée par les ordres du 14, l'attaque de la crête de Vimy sera
entreprise le plus tôt possible. Elle sera préparée par l'organisation
complète du terrain, la mise en place de 1’artillerie et l'exécution des
tirs de réglage. Elle sera exécutée par les 33e, 20e et
17e corps, flanqués à gauche par les 21e et 9e
corps et à droite par le 10e corps. Les attaques commencées le
15 mai en vue de la conquête de la base de départ seront continuées sans
interruption jusqu'à ce que les objectifs assignés par les ordres de la
veille aient été atteints.
Ces
instructions viennent d'être envoyées aux corps d'armée lorsque le général
Foch arrive au poste de commandement du général d'Urbal pour.« examiner les
causes de nos échecs du 15 et arrêter les conditions dans lesquelles l'offensive
peut et doit être poursuivie, en vue de conquérir au plus tôt la base
indispensable d'une attaque générale sur l'objectif principal initialement
fixé (119,140, la Folie, 132) ».
|