Le 298ème R.I. est formé de
deux bataillons du 98ème R.I., stationnés à Roanne. Il fait
partie de la 63ème division de réserve.
Le 11 août 1914, il quitte Roanne pour le
front d’Alsace. Il franchit le 14 août la frontière dans la région de Thann
et Cernay.
Le régiment participe à la victoire de la
Marne du 6 au 10 septembre 1914. Il se couvre de gloire le 7 septembre à la
ferme de Nogeons en prenant le drapeau du 36ème régiment de
Fusilliers allemand. Pour ce fait d’arme, le drapeau du régiment sera
décoré de la légion d’honneur à Ambleny le 11 novembre 1914.
Dès le 12 septembre, le régiment passe
l’Aisne à Fontenoy pour se retrancher sur le plateau de Confrécourt devant
Vingré. Il y restera toute la fin de l’année 1914 et participera à des
offensives meurtrières devant Nouvron. Les pertes sont considérables. Parmi
celles-ci, deux personnalités : Jean Giraudoux (sergent au 298ème),
blessé à l’aine le 16 septembre en défendant une entrée du village de
Vingré et le capitaine Joseph Déchelette,célèbre archéologue, tué le 3
octobre en entraînant ses hommes sur le plateau de Berry.
Le soldat Jean Dumont note dans son
journal en date du 20 octobre que son régiment, le 298ème, a
perdu plus de mille deux cents hommes sur deux mille.
LE PROCÈS
Le sous-lieutenant Bodé, chargé de la
défense des accusés, témoigne :
« 3 décembre. On m’apprit que le
conseil de guerre se tiendrait vers 17 heures et que j’étais désigné pour
la défense des 24 accusés. Il était 15 heures environ et lorsque les
dossiers me furent remis, je les parcourus en hâte puis je me rendis auprès
des accusés avec lesquels je n’eus que quelques minutes d’entretien. A 17
heures, le conseil entrait en séance. Les accusés répétèrent les
déclarations qu’ils avaient déjà faites. Puis je suppliais le conseil de ne
pas retenir l’accusation d’abandon de poste devant l’ennemi. »
Un lieutenant, Achalme, en qualité de
commissaire du gouvernement requit contre les 24 accusés la peine de mort.
Le jugement est vite rendu. On dit aux
accusés « placez-vous comme vous étiez dans la tranchée. » Puis
on ordonna « les six premiers, sortez » et on leur apprit qu’ils
étaient condamnés à mort.
L’EXÉCUTION
Abbé Dubourg, aumonier militaire du
groupe B :
« J’étais à 7h avec un de mes
confrères auprès des six malheureux qui allaient mourir. Ils étaient tous
les six ensemble dans une petite cave qui leur servait de prison. C’est là
que je vis votre mari. Il se confessa admirablement…
Puis nous avons quitté la petite cave et
nous nous sommes acheminés vers le lieu de l’exécution… »
J.B. Grousson de St-Etienne, 238ème
régiment d’infanterie :
« Avec Jules, je fais partie du
peloton qui les encadre, baïonnette au canon, pour les mener au lieu
d’exécution où le régiment est réuni. Les aumôniers leur parlent et les
embrassent, on leur lie les mains qu’on attache ensuite à un poteau. On
leur bande les yeux, l’adjudant Delmotte qui commande le peloton d’exécution
abaisse son sabre ; 72 fusils partent à la fois et les 6 martyrs
tombent sans un cri. Un sous-officier vient leur donner le coup de
grâce… »
Jean Dumont du 238ème régiment
d’infanterie :
« Ensuite toutes les compagnies ont
défilé devant les cadavres renversés au pied des poteaux. Quel spectacle
horrible ! Je n’ai pu m’empêcher de pleurer. Moi et les autres. Tous,
officiers, sous-officiers et soldats étaient atterrés. »
C. Lafloque du 298ème régiment
d’infanterie :
« A ce moment, le commandant du 5ème
bataillon paradant, s’avance vers le lieutenant commandant la 19ème
compagnie, baissant la tête et ayant des larmes, il lui dit :
« P…, relevez la tête ». La compagnie rentra à son cantonnement
dans une grotte de Vingré. Le silence régna toute la journée. Nous étions
les grands muets forcés d’obéir à des officiers qui s’étaient solidarisés
pour éviter leur responsabilité, en faisant retomber toutes les fautes sur
les soldats »
Sergent Grenier du 298ème
régiment d’infanterie :
« C’est honteux, honteux, et c’est
pour nous donner une leçon, nous remonter le moral, nous donner du courage.
Pour le moment on ne peut rien dire, mais quand je pourrai parler, je dirai
ce que j’ai sur le cœur, et puisque nous n’avons pas pu sauver leur vie,
nous sauverons leur honneur. »
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LA
RÉHABILITATION
Arrêt de la
Cour de Cassation
(Journal officiel du 18 février 1921)
« Attendu que le sous lieutenant
Paulaud… peut-être considéré comme ayant été un des principaux témoins de
l’accusation » qu’au moment de la panique « le chef de section,
sous-lieutenant Paulaud, sorti de son abri voisin, leur avait donné l’ordre
de se replier sur la tranchée de résistance ; que cet officier était
parti lui-même précipitamment et l’un des premiers dans cette direction ».
« Attendu que le lieutenant Paupier,
qui commandait la compagnie et se trouvait dans la tranchée de résistance a
déclaré qu’en effet le sous-lieutenant Paulaud était arrivé l’un des
premiers au moment de la panique de cette tranchée…
« Attendu qu’il importe de constater
que le sous-lieutenant Paulaud lui-même a exprimé sa conviction de
l’innocence des condamnés, quelques instants après leur exécution, et qu’il
a affirmé à nouveau cette conviction à diverses reprises dans ces dernières
dépositions
« Pour ces motifs :
« CASSE et ANNULE le jugement du
Conseil de Guerre spécial de la 53ème division d’infanterie, en
date du 3 décembre 1914, qui a confirmé le caporal Floch, les soldats Gay,
Pettelet, Quinault, Blanchard et Durantet à la peine de mort.
« Décharge leur mémoire de cette
condamnation ; »
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