Version 5.0

http://vestiges.1914.1918.free.fr/index_fichiers/image002.gif

VESTIGES 1914 1918

http://vestiges.1914.1918.free.fr/index_fichiers/image004.gif

 

 

Extrait de l’historique du 30 RI

 

 

SOISSONS

(12, 43 et 14 janvier 1915.)

 

On sait assez les traits généraux de cette tragédie mémorable. La vallée de l'Aisne à Soissons décrit un arc de cercle. Sur la rive droite, un grand plateau domine le fleuve, et il est creusé de trois profonds entonnoirs : l'un à Cuffy, l'autre à Crouy, le troisième à Chivres. La vallée de Crouy est dominée à l'ouest par un éperon appelé la cote 132, qu'une route à lacets, la route de Béthune, escalade de front. Au pied de la cote 132 passe la route de 'Maubeuge et le chemin de fer. Cette région remplie de grottes et de carrières était tenue solidement par l'ennemi; là, en effet, se trouvait la charnière des positions allemandes. Or, dans les journées qui précédèrent le 12 janvier, nos troupes de la VIe armée, abordant la route de Béthune, en avaient conquis un à un tous les lacets et avaient atteint une ferme. Restait à prendre la cote 132, au sommet du plateau et à droite. On s'efforçait de l'attaquer par Crouy en traversant la voie du chemin de fer et en grimpant la côte à l'abri des bois. Plus tard on voulut attaquer plus à l'est, par Le Moncel, mais les Boches contre-attaquent avec fureur. Nantis de forces imposantes, ils parviennent, la crue de l'Aisne aidant, à rejeter nos troupes jusqu'à la rivière et il s'en fallut de bien peu que Soissons ne fût repris par eux.

 

Intervention des 2e et 3e bataillons. Donc, le lundi 11 janvier, les 2e et 3e bataillons du 60e, commandés par les chefs de bataillon Poupinel et Thibaulot, cantonnés dans les faubourgs de Soissons, reçoivent l'ordre de relever, sous la conduite du lieutenant-colonel Graux. le 231e R. I. aux tranchées allemandes de la cote 132, conquise le jour précédent. L'ordre ne donnait pas d'autres indications, mais le lieutenant-colonel Auroux, du 204e, avait mission de donner sur place les renseignements nécessaires. Le 2e bataillon s'installe en première ligne. Le 3e bataillon doit rester en deuxième ligne. La relève, faite par une nuit noire dans un terrain inconnu, bouleversé, transformé en marécage par la pluie des jours précédents, est, tout à fait difficile. Elle ne se termine que le 12 à 4 heures du matin. Le colonel installe son P. C. dans une grotte-abri, dite la grotte du Zouave.

 

A 7h 30, une contre-attaque boche se déclenche. Un violent bombardement, le plus violent peut-être de toute la campagne, y prélude et sévit sur tout le front du 1er bataillon. L’abri du commandant Poupinel est écrasé par un obus. Le commandant transporte son P. C. au poste même du colonel. Il n'y a plus de téléphone, ni d'agents de liaison. Cependant les compagnies tiennent bon et la 7e repousse très facilement une petite attaque d'infanterie.

 

A 9 heures, le bombardement s'accroît et devient d'une violence inouïe. Le commandant Thibaulot, les capitaines Blanc, de la 10e, et Munnier, de la 11e compagnie, mandés par le colonel, arrivent au rendez-vous. Le médecin chef y vient aussi. Vers 10 heures, un obus de 210mm tombe sur la grotte, dont la voûte s'effondre ensevelissant sous les décombres le colonel, l'officier adjoint, capitaine Rochet, le médecin chef, les commandants des 2e et 3e bataillons, les capitaines Blanc et Munnier, toute la liaison du colonel et du commandant Poupinel. On entend distinctement la voix du colonel qui crie : « Vive la France ! » cependant que les témoins de la catastrophe se précipitent pour dégager le commandant Poupinel et le sergent de Bordes, fonctionnaire adjudant de bataillon, pris dans les décombres jusqu'à la ceinture.

 

Dans le cas particulier, cet accident ne pouvait manquer d'avoir de graves conséquences, le régiment se trouvant privé de ses principaux chefs. Le commandant Poupinel prit le commandement dans ces circonstances singulièrement difficiles. Les Allemands débouchent alors en deux colonnes. L'une d'elles, venant du nord-ouest, se dirige vers les positions du 276e R. I. à gauche. La 7e et la 6e compagnie du 60e R. I. la prennent de flanc et l'obligent à détourner ses efforts contre elle-même dont les effectifs sont très réduits. L'autre colonne attaque à droite, venant du nord-est. Elle fonce sur la 5e qui fait face à l'est et la déborde.

 

Ces trois compagnies ainsi que la 9e doivent se dégager à coups de baïonnette, et bientôt il ne reste plus du bataillon qu'un mince cordon sur le rebord sud de l'éperon 132; les compagnies, sous le commandement énergique de leurs chefs, le capitaine Picard (7e), le sous-lieutenant Luccantoni (5e), le sous-lieutenant Rangod (9e), engagent un combat très dur, l'ordre étant de tenir coûte que coûte.

 

A ce moment, le capitaine Picard, remplaçant momentanément le commandant Poupinel parti se faire panser au P. S., appelle à la rescousse le 3e bataillon déjà fort éprouvé par les bombardements du matin. Au bout d'un instant, le commandant est de retour, il reprend son commandement. La situation est, à ce moment, très critique. La Montagne Neuve est menacée. Le général de Maimbrey, de la 101e brigade, appelle à son aide tout le 60e disponible. Le 2e bataillon tiendra sans renfort et le 3e bataillon s’en va, sous le commandement du capitaine Kah, vers l'endroit menacé où lutte déjà la 10e compagnie avec des éléments des 276e et 282e R. I. Un combat très violent s'engage et l'on vient presque au corps à corps. La 12e compagnie brise la contre-attaque boche. Le sous-lieutenant Drogrey, passé depuis au 44e, séparé de sa compagnie avec quelques hommes, occupe une corne de bois abandonné, et, repoussant l'ennemi à la baïonnette, se maintient toute la journée sur sa position. Le lieutenant Alarjoulet, à peine guéri d'une blessure antérieure, est tué.

 

L'adjudant-chef Courtot, le sergent Girerd, les caporaux Dutartre et Carrichon, les soldats Guinchard et Letondal se distinguent particulièrement. Jusqu'à la tombée de la nuit, la bataille se poursuivra avec acharnement. Vers 17 heures, un bataillon du 204e R. I. vient renforcer notre 3e bataillon cette fois le moment critique est passé!

 

La journée du 1er bataillon.

 

Le lendemain, 13 janvier, le 1er bataillon intervenait à son tour. A 1 heure du matin, il monte en ligne et occupe les tranchées à l'est de la route de Terney, la 1ère et la 4e compagnie en avant. La nuit est terriblement obscure : le terrain est une véritable fondrière où les hommes s'enfoncent jusqu'à mi-jambe, au point que certains y perdent leurs chaussures. Du reste, les guides font défaut : «Devant vous, leur a-t-on dit simplement, c'est la cote 132 les Boches y sont» Il faut cependant attaquer tout de suite. De fait le bataillon attaque vers 4 heures du matin, il prend deux tranchées où il se maintient. Le commandant, puis après lui le capitaine Doillon, sont blessés mortellement à la tête du bataillon. La 1ère compagnie attaque la 2e à la baïonnette.

 

La 4e compagnie marche sur la route en liaison à gauche avec un bataillon du 44e engagé dans les mêmes conditions. C'est là que se distingue le soldat Franchi, de la 4e compagnie. Il s'avance en rampant sur le bord d'une tranchée ennemie, détourne avec la crosse de son fusil le canon d'une mitrailleuse en train de tirer, attaque les deux servants, qu'il tue, et il revient dans nos lignes après avoir réussi à se dégager.

 

Après la mort du capitaine Doillon, le commandement passe au capitaine Duffet, qui dispose alors d'un groupement comprenant les quatre compagnies du bataillon, et des éléments appartenant au 44e qui arrivent à la rescousse transportés en camions. Nos forces sont ainsi reconstituées et un groupement organisé existe à nouveau vers 8 heures ; le Boche attaque à son tour : il est repoussé par les éléments commandés par le lieutenant de Bordes (2e) et le sous-lieutenant Ruty (3e). Une lutte très dure s'engage à la grenade dans les boyaux, nous faisons même 78 prisonniers qui sont envoyés à Soissons. Le reste de la journée se passe sans incident.

 

Le lendemain, il est rendu compte au commandant que la liaison à gauche n'existe plus. Pendant la nuit du 13 au 14, en effet, les Allemands ont opéré un groupement différent de leurs forces. Ils attaquent en masse par l'extrémité de notre aile droite et s'emparent des villages qui sont au pied de la côte de Vrigny, Missy et Bucy-le-Long. La situation est tout à fait critique : nous sommes débordés et la crue de l'Aisne artificiellement provoquée par l'ennemi a emporté les passerelles, il faut évacuer les hauteurs de la rive droite. L'ordre en a été donné aux 2e et 3e bataillons et à tous les autres éléments en ligne sur le plateau de Crouy. Ce même ordre fut donné au 1er bataillon et au 44e, mais il ne parvint pas à destination, les estafettes ayant trouvé la mort en cours de route. Le commandant du Ier bataillon s'en va vers la gauche pour se rendre compte de ce qui se passe et il voit nettement des troupes ennemies défiler sous bois derrière nos positions. Il faut dès lors se replier.

 

Un groupe de la 2e compagnie est cerné au château Saint-Paul et s'y défend jusqu'à la dernière cartouche, sous les ordres du sous-lieutenant de Bordes qui, grièvement blessé, est fait prisonnier. Les autres éléments, conduits par le capitaine Duffet et le sous-lieutenant Ruty, après s'être ouvert le passage à la baïonnette, rejoignent la Verrerie en rampant dans les fossés de la route de Soissons. A la nuit du 14, le capitaine Duffet rentrait à Soissons, ramenant avec lui 1 officier, 2 ou 3 adjudants et 188 hommes du 60e et du 44e.

 

Tel fut dans ses grandes lignes, autant qu'il est possible de le reconstituer à cause de son caractère « chaotique » et fragmentaire, le combat de Soissons. Ce fut un échec pour les armes françaises, mais Montaigne n'a-t-il pas dit qu'il y a des défaites triomphantes à l'égal des victoires? Le 60e a sauvé l'honneur de l'armée et a assuré la retraite par sa belle conduite. Malheureusement il laissait sur le terrain 25 officiers dont le colonel et deux commandants, et 1.800 hommes de troupe. Beaucoup de ceux-ci furent faits prisonniers.

 

Avec ce qui restait du régiment on put faire cinq petites compagnies. Elles furent dirigées sur Taillefontaine où les renforts arrivèrent. Dès le 28 janvier, le régiment était reconstitué par le nouveau colonel, Auroux, assisté des commandants Naeser, Poupinel, Devant. Ce même jour se faisaient les reconnaissances en vue de l'occupation d'un nouveau secteur et le 1er février le 60e prenait position aux avancées de Fontenoy.

 

Dès cette époque, les jours vont se succéder singulièrement vides et monotones, tous semblables les uns aux autres. Les nouveaux venus au régiment arrivent de partout : on a vidé les « fonds de tiroirs » des dépôts et l'esprit n'est pas très bon. Il faudra un long et patient travail des officiers de compagnie pour plier les plus rebelles à la discipline et à une conception du devoir militaire conforme aux traditions du régiment; la main forte, rude à l'occasion, du colonel Auroux ne contribue pas peu à obtenir ce résultat. Il est rappelé en mai 1915 à un autre commandement et remplacé le 20 du même mois par le colonel Laparrat. Celui-ci, au bout de quelques jours, tombe frappé mortellement par un éclat d'obus alors qu'il inspectait un secteur voisin, celui de Quennevières où le 42e allait bientôt donner un assaut brillant. Le colonel Mittelhausser prend le 13 juin le commandement du régiment. Le commandant Thivel remplace au 1er bataillon le commandant Naeser et le commandant Poupinel, appelé à l'état-major de la division, transmet le commandement du 2e bataillon au commandant Peyrotte, revenu de convalescence et nouvellement promu.

 

Le régiment a un bataillon en première ligne dans les quartiers de Sabran, de Perreyra, de la Demi-Lune. Un autre bataillon occupe la vallée de l'Aisne.

 

C'est un secteur partie tranquille et calme, partie agité où les coups de main sont fréquents comme dans la région d'Arly et du moulin de Châtillon, et où du fait des grenades, des fléchettes, des obus de gros calibres, et aussi des grosses torpilles «seaux à charbon» qui font leur apparition, le régiment perdit beaucoup de monde, les quelque 200 sépultures groupées dans le cimetière de Fontenoy autour d'un petit monument de pierre tendre dù à un soldat, en sont le témoignage.

 

De ces morts, celui qui écrit ces lignes en a connu un très grand nombre et il salue respectueusement la mémoire du sous-lieutenant Retrouvey, tué par une torpille, du sergent Paul Bonnet, de la 2e compagnie, un jeune homme de grande distinction et d'une élévation de sentiments incomparable, et celle du capitaine Lacroix, de la 10e, blessé en surveillant lui-même la pose des fils de fer et transporté à l'ambulance au château Firino, où il s'éteignit après avoir reçu la rosette d'officier de la Légion d'honneur, dans des sentiments de foi, de résignation et de confiance vraiment admirables.

 

C'est ainsi qu'à travers les journées ternes dont la monotonie était à peine rompue par les bombardements, on atteignit le milieu du mois de juillet. A cette époque la division entière fut relevée. Elle alla cantonner, dans la région de Neuilly-Saint-Front, d'où elle partait bientôt, après une grande revue passée le 6 août par le général en chef à la ferme des Loges. Elle fut transportée en chemin de fer à Saint-Hilaire-du-Temple et se rendit près de Suippes pour commencer les préparatifs de l'attaque de Champagne. Tenir les secteurs difficiles, préparer les offensives par un travail long et pénible, attaquer, organiser défensivement les positions conquises, toute l'histoire de la division et du 60e pendant la guerre tient en ces quelques mots.